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Initium ut esset homo creatus est
A la fin de son intervention Gauchet nous invite à deux réflexions pour comprendre la situation actuelle, c’est-à-dire la place de la religion dans les sociétés et les conflits générés par l’introduction de la modernité autonome qui les traverse ; dont l’islamophobie comme l’occidentalophobie en sont les conséquences. La première, se remémorer le parcours de la laïcité en Europe et les étapes, souvent violentes, par lesquelles ce processus s’est déroulé. La seconde, repenser ce même phénomène dans et par le processus qui se déploie aujourd’hui à l’échelle du globe et que l’on nomme mondialisation.
Pour le premier point, vous vous referez au concordat. Celui-ci a mis fin à la guerre de légitimité entre clergé constitutionnel et clergé réfractaire et ouvert la voie à la sécularisation. L’histoire peut-elle se répéter ? Je ne pense pas pour deux raisons : La première est que les conditions historiques ne sont pas les mêmes. Principalement parce que nous sommes "sortie de la religion", au sens ou le religieux ne gère plus la cité des hommes mais est désormais une gestion privée. En second lieu, ce n’est pas aux musulmans d’entrer dans la république, où ils sont déjà, en régressant aux conditions politiques du XIXème siècle. Cela serait un asynchronisme historique. La loi de 1905 a fait sortie la religion de l’État. Il n’y aurait aucun sens politique à en réintégrer une sans les autres qui en sont déjà sortie. Je ne pense pas par ailleurs que les musulmans veuillent se voir imposer un "Islam de France" comme c’était le cas pour le catholicisme tout empreint de gallicanisme. L’intégration de l’Islam en France a son propre chemin.
@sempro , @VeraBien ,@2bras ,@Kaiserin,@breakbeat
Cher(e) Mihran,
En fait ce qui m'intéresse dans le concordat n'est pas tant l'aspect que vous mentionnez, le retour a un régime concordataire serait effectivement une régression. L'aspect qui me semble intéressant est le processus qui a permis aux deux religions monothéistes de l'époque de passer l'épreuve de la sécularisation. Si l'on prend l'exemple de ce qui s'est passé pour les religions minoritaires ( extrait wiki mais conforme à ce que j'ai pu lire ) :
Les religions minoritaires, protestantes et israélite
Le temps ayant passé, on ne mesure peut-être plus bien le caractère nouveau de cette reconnaissance officielle, en 1802, du protestantisme (et, en 1808, du judaïsme), et l’importance de la paix religieuse qu’elle permet. À l’époque, il y a à peine quinze ans que les protestants ont un état-civil, et trente ans auparavant, on pouvait encore condamner à mort des pasteurs qui célébraient le culte.
La manière dont les consistoires protestants et juifs se mettent en place est un exemple de participation et, finalement, à la fois un signe et un gage d’intégration.
En ce qui concerne les juifs, voici la manière dont le concordat se met en place:
Il y a d’abord un dialogue, marqué par une participation plutôt positive des juifs à la création des consistoires : des délégués (une centaine pour tout le pays) sont nommés par les préfets. Ils réfléchissent à la manière de concilier les préceptes religieux juifs avec les exigences légales du nouveau code civil.
En 1807, un « grand sanhédrin » se réunit à Paris pendant un mois et en tire les conclusions pour la loi juive.
En 1808, deux décrets organisent les consistoires locaux et national sur le modèle du protestantisme.
Ce régime concordataire connaît des débuts chaotiques : en 1808, un troisième décret (le « décret infâme ») limite la circulation et le droit de commercer pour les juifs.
Très vite, pourtant, y compris sous la Restauration, les communautés juives s’intègrent, comme c'est la cas, par exemple, pour Adolphe Crémieux.
Finalement, ce nouveau régime juridique va favoriser un doublement de la population juive française en 80 ans, surtout par immigration, les pays voisins à l’est étant loin de montrer la même tolérance.
L’organisation actuelle du culte protestant en France découle directement des articles organiques.
Cette étape me semble avoir été primordiale pour l'intégration du judaïsme dans la république, en permettant notamment une pacification des conflits potentiels entre Torah et République. J'ignore si la communauté musulmane connaît cette pratique du judaïsme en France ( encore extrait wiki vérifié ) :
Prière pour la France, Second Empire.
Une Prière pour la République française est dite en français ou en hébreu chaque semaine lors des offices du chabbat matin et à l'occasion de cérémonies officielles dans les synagogues consistoriales françaises3.
Son origine remonte à la création du Consistoire par Napoléon quand une prière fut créée à l'intention de l'Empereur et de la famille impériale le 17 mars 1808, dans le cadre des décrets organisant le culte israélite.
Sous le Second Empire, le texte en était :
« Éternel, Maître du monde, Ta providence embrasse les cieux et la terre ;
La force et la puissance T’appartiennent ; par Toi seul, tout s'élève et s'affermit.
C'est par Toi que les rois règnent, c'est Toi qui leur dispenses le sceptre pour gouverner les nations.
De Ta demeure sainte, ô Seigneur, bénis et protège notre auguste souverain Napoléon III, empereur des Français. Amen.
Verse sur lui le trésor de tes bénédictions, prolonge la durée de son règne jusqu'au terme le plus reculé. Amen.
[...] Que les rayons de Ta lumière l'éclairent et le protègent. Amen.
[...] Accueille favorablement nos vœux et que les paroles de nos lèvres et les sentiments de notre cœur trouvent grâce devant Toi, ô Seigneur, notre créateur et notre libérateur. Amen. »
De nos jours, son texte est le suivant :
« Éternel, Maître du monde, Ta providence embrasse les cieux et la terre ;
La force et la puissance T’appartiennent ; par Toi seul, tout s'élève et s'affermit.
De Ta demeure sainte, ô Seigneur, bénis et protège la République française et le peuple français. Amen.
Regarde avec bienveillance depuis Ta demeure sainte, notre pays, la République française et bénis le peuple français. Amen.
Que la France vive heureuse et prospère. Qu'elle soit forte et grande par l'union et la concorde. Amen.
Que les rayons de Ta lumière éclairent ceux qui président aux destinées de l’État et font régner l’ordre et la justice. Amen.
Que la France jouisse d’une paix durable et conserve son rang glorieux au milieu des nations. Amen.
Accueille favorablement nos vœux et que les paroles de nos lèvres et les sentiments de notre cœur trouvent grâce devant Toi, ô Seigneur, notre créateur et notre libérateur. Amen4. »
En 2012, le grand-rabbin de France Gilles Bernheim fait ajouter une invocation supplémentaire 5.
« Que l’Éternel accorde sa protection et sa bénédiction pour nos soldats qui s’engagent partout dans le monde pour défendre la France et ses valeurs. Les forces morales, le courage et la ténacité qui les animent sont notre honneur. Amen6. »
Le 22 juillet 2012, lors de son discours de commémoration de la rafle du Vel d'Hiv, le président François Hollande cite la prière pour la République française7 : « Chaque samedi matin, dans toutes les synagogues françaises, à la fin de l'office, retentit la prière des Juifs de France, celle qu'ils adressent pour le salut de la patrie qu'ils aiment et qu'ils veulent servir : "Que la France vive heureuse et prospère. Qu'elle soit forte et grande par l'union et la concorde. Qu'elle jouisse d'une paix durable et conserve son esprit de noblesse parmi les Nations".
Le texte est évidemment très emphatique, mais il explique sans doute en partie pourquoi les autorités juives de France ont une légitimité indéniable, qui échappe parfois à nos concitoyens musulmans, obnubilés par le deux poids deux mesures. L'amalgame est ici impossible.
Evidemment l'histoire ne ressert jamais deux fois les plats, mais le processus engagé par JP Chevenement dit d'Istichara et ayant abouti à la signature par le CFCM d'une charte le 28 Janvier 2001 semble très proche du processus concordataire :
http://www.larousse.fr/archives/journaux_annee/2004/87/l_organisation_du_culte_musulman_en_france
Et le texte que j'ai eu quelques difficultés a trouvé sur le site du CFCM :
http://www.lecfcm.fr/?p=2599
Malheureusement ce processus s'est interrompu après le drame du 11/09/2001 et à la discorde qui s'en est suivie entre association musulmane. Mais moyennant un processus permettant l'émergence d'une représentativité à minima majoritaire du culte musulman ne serait il pas possible d'établir concorde entre le culte et l'état. Tout comme le culte juif, le culte musulman a la particularité de s'immiscer très loin dans la vie de ses fidèles ( Chariah, ... ) et est constitué de lois qui peuvent être considérées comme "politique". Faire concorder ces lois, tout comme les consistoires juifs l'ont fait me paraît de nature à apaiser les relations difficiles entre la République et le culte . Certains m'objectent que ces lois sont contextuelles. Je leur dirais justement ! Imaginez la loi française contextuelle ...
Ce travail peut paraître insurmontable, mais même un Michel Onfray peu enclin à l'Islamophilie semble ne dénombrer que 250 versets à problème ( Barjafil parle de versets coercitifs ), ce n'est donc pas si insurmontable. Le livre est certes incréé donc intouchable, mais en ce cas ne touchons pas, faisons l'inventaire comme l'ont fait les consistoires et ensuite ajoutons un "Din ha malkout ha dina".
Cette sortie de l'ambiguité de la majorité représentée serait sans doute un grand pas.
Dans l'attente de vous relire.
Bien à vous
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