Bonjour Droitreponse,
Je suis désolé de cette réponse tardive. Je suis professionnellement un peu chargé en ce début d’année. Concernant votre dernière réponse j’ai deux réflexions :
· Concernant le problème de la liaison entre la religion et l’État, ce n’est pas tant la nature de l’institution représentative qui est primordiale mais le degré de légitimation que les croyants lui accordent. Si l’on ne peut pas refaire un concordat ce n’est pas seulement parce qu’avec la loi de 1905, l’Église n’est plus dans l’État ; c’est aussi parce que les fidèles, les individus qui forment une communauté de croyants, ne se construisent plus seulement au travers d’une identité religieuse. Les croyants dans leur très grande majorité, et hors une minorité radicale, sont dans la modernité. C’est à dire qu’il attende de la société, et non plus seulement de leur communauté cultuelle, les ressources nécessaires à l’affirmation de leurs individualités. Au siècle dernier encore, un individu cherchait à se dépouillé de ces particularismes pour s’approprié les significations définissant la société au sein de laquelle il existait. Aujourd’hui un individu cherche au sein de la société les éléments de son identité propre. Il revendique le droit à se dépouillé de certaines valeurs communes pour se construire une personnalité. Il y a individuation. L’individu est devenu individualité. Les musulmans n’échappent pas à cette évolution, même si pour eux la rupture entre valeurs communautaires et aspirations individuelles est vécue plus difficilement que pour le reste de la société. Dans ce contexte la présence d’imams, parfois auto-proclamés, en opposition aux valeurs communes est-elle facteur de déstabilisation ? Sans doute au regard des profils des auteurs des attentats de Toulouse, Bruxelles, Paris et Copenhague. Au demeurant l’arsenal juridique français est largement suffisant pour expulser ou emprisonner ces fauteurs de troubles ; c’est juste un problème de volonté politique. Les troubles provoqués par ce laxisme arrangent certains courants de pensées.
· Concernant votre postscriptum, le sujet principal de Gauchet est L’avènement de la démocratie (trois volumes parues chez Gallimard) dont le Désenchantement du monde, est l’introduction. Dans ce dernier ouvrage Gauchet réalise concernant le religieux une véritable révolution copernicienne. "On a généralement lu, à la lumière des philosophies du progrès, l’histoire des religions comme un développement, comme un approfondissement de l’expérience du tout-autre, des confuses puissances du début jusqu’à la divinité absolue et rationnelle des modernes. Elle est à lire à l’envers, en ceci que, s’il y a effectivement unification, puis élargissement ou renforcement des attributs du divin, ceux-ci n’entraînent nullement une servitude de plus en plus accusée et pesante pour les hommes, mais le contraire. Plus croit la grandeur de Dieu, et plus diminue en vérité la dépendance et la dette de ses créatures." Pour faire très schématique, C’est à l’intersection des relations entre Religion/État/Politique que ce situe la sortie des religions, phénomène commencé avec l’apparition de l’État aux IVème et IIIème millénaires AVJC. Cette "mise à distance" de Dieu a ouvert la voie au Politique. Vous dite vous-même que : "la religion soit encore utilisée par d'autres états comme arme géopolitique". Les imams formés dans les universités saoudiennes ne prêchent pas du religieux, mais du politique. C’est dans l’optique des luttes de pouvoirs politiques qu’il faut analyser l’irruption d’un Islam radical au sein des sociétés occidentales depuis 1973, date du premier choc pétrolier qui a révélé toute la dépendance des démocraties libérales au facteur énergétique.
Cordialement
P.S. J’ai conscience qu’avec la thèse de Gauchet j’introduis schématiquement des concepts complexes qui risquent de heurter certaines consciences religieuses et que faute de temps et il me sera difficile de développer. Néanmoins, l’idée que les religions sont des constructions historiques et sociales - correspondant à un besoin de gestion de l’espace commun dans l’ici et maintenant - doit être posée comme grille pertinente de lecture ; en opposition à une métaphysique religieuse qui, si elle possède toujours sa pertinence et sa raison d’être-en-soi, ne peut plus prétendre y compris dans les pays musulmans à la gestion de la cité, sauf à l’imposer par la force.