La pieuvre s'étend...
L’EI poursuit son extension du domaine du djihad
Mercredi en Egypte, l'Etat islamique a lancé une violente offensive militaire pour s'emparer d'un territoire du Nord-Sinaï, proche de la bande de Gaza. L'Egypte a déployé son armée de l'air pour repousser les assauts de l'organisation terroriste et l'Etat israélien a immédiatement fermé sa frontière avec Gaza et déployé des troupes le long de celle avec l'Egypte. Dans le même temps, profitant de ses facilités de recrutement, l'EI explore également les terrains Afghans (et Pakistanais) où les talibans n'ont aucunement l'intention de leur céder le "monopole" de la résistance à "l'occupant occidental".
Les combattants de l’Etat islamique se sont toujours montrés relativement flous quant aux frontières de leur « nouveau califat ». Censées se limiter à l’Irak et au Levant, les récentes attaques (Sinaï, Tunisie, Koweit), leurs implantations (Libye, Caucase, Afrique) et leurs « explorations » (Afghanistan, Pakistan, Asie du Sud-Est) montrent surtout que ses frontières réelles se borneront aux limites de sa puissance. Mercredi 1er juilet, c’est en Egypte que l’EI a frappé par le biais d’une de ses « filiales » : l’Etat islamique au Sinaï.
La région du Nord-Sinaï n’avait pas connu de combats d’une telle intensité depuis 1973 et la guerre égypto-israélienne. Dix-sept militaires égyptiens et une centaine de djihadistes du groupe EI au Sinaï sont morts durant les affrontements. Selon le porte-parole de l’armée égyptienne, c’est une véritable opération militaire que leurs adversaires ont entrepris : plus de 300 « terroristes », armés de lance-missiles et de mitrailleuses lourdes montées sur des dizaines de 4x4, ont attaqué les positions militaires égyptiennes autour de la ville de Cheikh Zoued près de la frontière avec Gaza.
Déjà cité par Marianne, un rapport de l’Institute for the study of war affirmait que pour marquer le mois du ramadan l’EI cherchait à consolider sa puissance dans les territoires qu’il contrôlait déjà en Irak et en Syrie et qu’il agirait pour conquérir de nouveaux territoires citant précisément ses ambitions sur le Sinaï : « Le mouvement Wilayat Sinaï, qui a fait allégeance à l’Etat islamique, devrait tenter de capitaliser sur les troubles existants pour recruter au sein de la population locale mais aussi pour lancer une grande offensive terroriste contre les forces de sécurité égyptiennes. Les filiales de l’EI peuvent tenter d’administrer une province ou revendiquer ainsi le contrôle d’un territoire dans le Sinaï — mais aussi en Afghanistan — comme un moyen d’expansion de l’organisation, en vue de se préparer ainsi à de futures opérations militaires ». Cette note publiée le 7 juin, annonçait ainsi précisément l’offensive à venir sur le Sinaï cette semaine.
L’armée égyptienne a repoussé les assauts par le biais d’hélicoptères Apache et d’avions F16. Mais les affrontements violents se sont poursuivis entre soldats et assaillants, en milieu de journée, empêchant les ambulances de parvenir sur les lieux des attaques. Même si l’EI n’a pas pris le contrôle effectif du territoire, cette attaque massive et soudaine marquera néanmoins une nouvelle étape pour le groupe islamiste en Egypte : « L’Etat islamique a lancé plusieurs attaques contre l’armée égyptienne dans la partie Nord-Est de la péninsule en janvier et octobre dernier. Mais l’EI s’était rapidement retiré après ces agressions alors que mercredi, après l’attaque, le groupe est revenu au combat pour essayer d’avancer » écrit Patrick Kingsley, envoyé spécial du Guardian au Caire.
Le journaliste croit, par ailleurs, savoir que l’organisation a sans doute réussi à tenir le territoire un certain temps contre les forces militaires égyptiennes. L’Egypte ne serait plus ainsi confrontée à des « cellules terroristes », mais véritablement à un effort d’exportation du modèle militaire mis en place par l’EI en Irak et en Syrie, et à son ambition de contrôler de nouveauxterritoires.
L’avertissement est clair également pour Israël qui a immédiatement annoncé la fermeture temporaire de ses frontières avec la bande de Gaza et déployé des renforts militaires le long de sa frontière avec l’Egypte, craignant l’installation de l’EI aux portes de Gaza qui lui aurait permis de mener une guerre d’usure prolongée. L’Etat islamique avait d’ailleurs presque désigné sa cible lundi, en annonçant son intention de « renverser Israël », fustigeant dans le même message le laxisme des dirigeants du Hamas dans l’application de la charia dans l’enclave palestinienne qu’ils contrôlent : « Nous renverserons l’État des juifs [Israël]; et vous [le Hamas] et le Fatah [en Cisjordanie], et tous les autres laïques n’êtes rien du tout et vous serez submergés par tous nos guerriers », a déclaré un membre masqué de l’Etat islamique dans un message enregistré à l’adresse des « tyrans du Hamas ».
Le lendemain, le ministre israélien des Renseignements, Yisrael Katz, déclara lors d’une conférence que, malgré les tensions entre les deux organisations, le Hamas et l’Etat islamique coopéraient dans la péninsule du Sinaï où l’on assistait à une vague de violences inédites depuis 2013. Si les forces de l’EI dans le Sinaï sont significativement plus faibles que celles de l’EI en Syrie, les forces militaires égyptiennes vont sans doute devoir s’habituer à batailler contre des groupuscules de ce type dans la région.
Et en cette période de Ramadan, l’EI dévoile, par ailleurs, d’autres ambitions territoriales, encore plus surprenantes. Outre le Sinaï, l’EI aurait commencé à « explorer » la possibilité d’une implantation en Afghanistan et au Pakistan selon la revue Foreign affairs. Base historique d’Al-Qaïda, l’Etat islamique disposerait en Afghanistan, de plusieurs centaines de combattants selon l’auteur de l’article, ancien secrétaire adjoint à la Défense, chargé des opérations spéciales en Afghanistan, qui décrit plusieurs accrochages, en juin, entre les membres de l’EI et les talibans afghans dans la province de Nangarhar, à l’Est du pays, une province frontalière du Pakistan.
Malgré la richesse et les facilités de recrutement actuelles de l’EI, l’auteur estime que l’organisation se heurtera à des obstacles importants « en raison d'un champ bondé de groupes djihadistes et d’une idéologie en manque de fortes racines locales. En Afghanistan et au Pakistan, les groupes militants populaires sont généralement proches des interprétations radicales de l’islam établies localement telles que le déobandisme (école sunnite radicale, enseignée dans les madrasas pakistanaises, sur laquelle repose largement la foi talibane, ndlr). Les idées de l’Etat islamique sont des idées d’importation dont la popularité locale reste à démontrer. Surtout, pour s’imposer localement et élargir sa part de marché territoriale, l’EI devra combattre d’autres groupes, parmi lesquels les talibans, ce qui pourrait être sa bataille la plus difficile et avoir des implications profondes sur le niveau de violence dans la région ».
Pour le moment, face à la multiplication des accrochages, les chefs talibans ont plutôt cherché à faire retomber les tensions, non sans se montrer menaçants, revendiquant en Afghanistan la totale paternité de la résistance contre les forces occidentales. Dans un courrier, le mollah Mansour, numéro deux des talibans a ainsi prévenu le chef de l’EI que « le djihad contre les Américains et leurs alliés doit être mené sous une bannière et une direction uniques. Que Dieu nous en préserve, si vous veniez à prendre des décisions à distance, vous perdriez le soutien des érudits, des moudjahidines et de sympathisants »avant de menacer que les talibans « seraient forcés de réagir afin de défendre leur acquis » si jamais l’EI poursuivait ses ambitions de s’implanter durablement sur le territoire afghan.
http://www.marianne.net/ei-poursuit-son-extension-du-domaine-du-djihad-100235234.html