Il a fait danser, chanter, les jeunes Tunisiens… Avant de rejoindre les rangs de Daech (Etat islamique, EI). Marouan Douiri, alias Emino, a troqué son micro, les jolies filles, sa casquette et son studio pour le jihad et la folie meurtrière de Daech. Sur son profil Facebook, le jeune homme a ainsi posté ce message confirmant avoir prêté allégeance à son chef Abou Bakr al Baghdadi le 18 mars dernier. Selon France 24, l’ancien rappeur était alors à Raqqa, en Syrie, le drapeau de l’EI flottant derrière lui. Il serait aujourd’hui en Irak.
David Thomson, journaliste à RFI et auteur du livre "Les Français jihadistes" avait rencontré l’artiste à Tunis en 2013. Il confirme qu’à l’époque, le rappeur était plus attiré par les filles, l’alcool et la musique que par le salafisme. "J’avais fait un reportage sur Emino avec Weld El 15, l’un de ses collègues, un des rappeurs les plus connus en Tunisie. Je les avais vus dans le studio dans la maison de ses parents. Il vient de la classe moyenne, sa mère est fonctionnaire au Ministère de la justice. On était à des années-lumière de ce qu’il est devenu. Il était 10 heures du matin, je l’ai réveillé, il y avait des cadavres de bouteilles de Jack Daniel’s et il s’est allumé un pétard au réveil."
Comment expliquer dès lors ce changement radical ? L’avocat d’Emino, Me Ghazi Mrabet, indique que son client avait changé après une condamnation à deux ans de prison pour possession de cannabis. La répression policière que subissent les jeunes Tunisiens serait, selon lui, la principale raison de la conversion du chanteur, déçu de la Révolution, à l’islamisme radical. "Beaucoup de nos jeunes disent que ce pays brise les espérances", explique ainsi Me Mrabet au Figaro. "Il ne voulait plus entendre parler de son procès en appel et me disait qu’il se moquait de la justice".
David Thomson confirme. "La jeunesse tunisienne a l’impression de ne rien pouvoir faire. Son ami, le rappeur tunisien Weld El 15, avait été condamné à quatre mois de prison ferme - avant d’être acquitté en appel - pour atteinte aux bonnes mœurs et outrage à des fonctionnaires dans ses chansons (dont "Boulicia Kleb", que l’on peut traduire en français par "Les policiers sont des chiens", NdlR). L’engagement d’Emino au sein de l’EI est d’autant plus incompréhensible que ceux qui les ont défendus lors de ces procès, la gauche moderniste, combattent l’idéologie jihadiste".
Contacté par "La Libre" pour évoquer la conversion de son ami, Weld El 15 assure "n’avoir rien à déclarer".
Emino n’est pas le seul rappeur à avoir prêté allégeance à Daech. Avant lui, Denis Cuspert, alias Deso Dogg, un ancien petit délinquant allemand devenu rappeur populaire de 2006 à 2009, a pris le même chemin en rejoignant l’Etat islamique.
Selon un portrait publié dans "Le Monde", Deso Dogg s’est converti à l’islam un an plus tard, a pris le nom d’Abou Maleeq et fonda même le groupe jihadiste Millatu Ibrahim. L’ancien chanteur a, depuis, été tué durant la guerre fratricide qui oppose l’EI à un autre groupe rebelle : le Front al Nosra, la branche syrienne d’Al Qaida.
D’autres rappeurs chez Daech
Sans tomber dans la parano, il semblerait que d’autres rappeurs aient rejoint l’EI comme l’assure David Thomson qui a des contacts avec de nombreux jihadistes. "Il y a quelques rappeurs français qui ne sont pas très connus que je connais et qui ont rejoint Daech. C’est vrai qu’il y en a pas mal", dit-il.
"A ma connaissance, il n’y a aucun cas belge. Je n’en ai en tout cas jamais entendu parler", assure Alain Lapiower directeur de l’asbl Lezarts Urbains qui promeut les "cultures urbaines".
Depuis l’attentat de Charlie Hebdo, de nombreux rappeurs du plat pays se seraient même érigés contre l’extrémisme. "J’ai remarqué un certain nombre de textes qui évoquent ces questions et qui se distancient justement des milieux jihadistes", explique-t-il. "Depuis 15 ans, le rap s’est diversifié. Il y a énormément de jeunes de classe moyenne qui font ou qui écoutent du rap. Il y a quelques groupes de Gansta rap assez radicaux qui parlent de la mafia, d’affaires de gangster mais une chose est claire, il n’y a aucun mouvement de sympathie du hip-hop belge envers le jihadisme".
Aucune sympathie jihadiste
Dans l’hexagone, plusieurs artistes français ont, également, réagi après les attentats de Paris. Une polémique était, en effet, née deux ans avant la tuerie. La faute à un couplet de Nekfeu, jeune chanteur du groupe 1995, dans lequel il réclamait "un autodafé contre ces chiens de Charlie Hebdo". Un texte qui avait choqué la rédaction du magazine satirique et notamment son ancien directeur Charb. "Si c’est de l’humour de la part des rappeurs, ce serait bien qu’il y ait un décalage entre leur humour et le ton d’Al Qaïda".
Nekfeu, bien embarrassé après les événements du 7 janvier, avait immédiatement présenté ses excuses sur Facebook expliquant qu’il n’appartenait "à aucune communauté religieuse" et qu’il n’avait "aucune prétention politique".
Beaucoup de rappeurs prônent d’ailleurs la tolérance et la non-violence. Loin de l’image caricaturale (baston, drogue, fille, grosse berline) du milieu.
Akhenaton, Disiz, Oxmo Puccino, Shurik’n dans l’hexagone, James Deano, Senamo, Seyté, Caballero, JeanJass parmi d’autres au plat pays, sont autant de preuves que le hip-hop, lorsqu’il est pertinent, modéré et bien écrit, peut aussi apporter un message de paix et d’amour aux jeunes générations.
lalibre.be
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