Les trois premiers illustrent une fracture historique dans l’islam sunnite du sous-continent indien entre réformistes et non réformistes remontant à la période coloniale.
Les Deobandis sont les premiers à fonder un mouvement religieux à Deoband, petit village non loin de Delhi, où en 1867 une petite école islamique inaugure ce qui deviendra l’un des plus vastes réseaux de madrasas en Asie du Sud.
Aujourd’hui, au Pakistan,
les Deobandis contrôlent plus de 60% des écoles coraniques, alors qu’ils ne représentent que 20% des musulmans sunnites. L’école deobandie est réformiste dans le sens où elle entend purifier l’islam des emprunts culturels hérités des Hindous, avec lesquels les musulmans ont cohabité des siècles durant, et des superstitions populaires liées habituellement aux dérives du
soufisme, afin de le ramener à ses origines arabes. Cette lecture de l’islam conduit les Deobandis à une critique acerbe des autres musulmans, dont la majorité, hier comme aujourd’hui, adhère précisément à cet islam « syncrétique » qu’ils dénoncent avec force.
Le rejet de l’islam populaire est encore plus prononcé chez les Ahl-e-Hadith. Ce mouvement religieux, fondé vers 1860 par une noblesse musulmane déchue par la colonisation, va plus loin encore dans la réforme de l’islam. Ce ne sont pas seulement les dérives liées au soufisme qui sont condamnées mais le soufisme lui-même, considéré comme n’ayant aucune place en Islam.
Les Ahl-e-Hadith n’approuvent pas non plus les quatre écoles juridiques de l’islam sunnite, depuis que la primauté du Coran et des
hadîths (faits et dires du Prophète) est pour eux absolue. Elitiste, du moins à ses débuts, ce mouvement compte peu d’adeptes au Pakistan. Seuls 10% des musulmans adhéreraient à cette lecture ultra rigoriste de l’islam. Les Ahl-e-Hadith représentent
le courant salafiste du Pakistan.
Pour protéger leurs traditions et rites ancestrales des attaques et des critiques des Deobandis et des Ahl-e-Hadith, les
partisans de l’islam populaire/soufie fondent, à leur tour, un mouvement religieux à Bareilly, un village dans les alentours de Delhi qui donne son nom au mouvement des
Barelvis à la fin du XIXe siècle. Anti-réformistes, ces derniers entendent
préserver l’islam tel qu’il est pratiqué dans le sous-continent indien et non tel qu’il était à sa naissance en Arabie au VIIe siècle. Ils sacralisent le Prophète et vouent une dévotion sans borne à ses descendants. Certains d’entre eux, érigés en saints, selon les croyances des Barelvis, seraient dotés de facultés surnaturelles leur permettant, morts comme vivants, d’exaucer les vœux des hommes et d’intercéder en leur faveur auprès de Dieu, ici-bas mais aussi au Jour du Jugement Dernier. Un ensemble de rituels sont menés autour des tombeaux de ces saints, souvent fondateurs ou membres éminents de grandes confréries, dont les anniversaires (
urs) sont fêtés avec beaucoup de ferveur religieuse.
Les musulmans barelvis, majoritaires au Pakistan, constituent plus de 60% des sunnites du pays. Les Deobandis et les Ahl-e-Hadith dénoncent leurs croyances estimant que le culte est exclusivement réservée à Dieu, Seul pourvoyeur de biens matériels et immatériels et Seul habilité à sauver les âmes, une prérogative qui ne saurait souffrir d’interférences humaines même prophétiques. Ainsi, en reconnaissant des pouvoirs divins au saints, les Barelvis se rendent coupables de
shirk (le fait d’associer quelqu’un à Dieu), pêché ultime, surtout pour les Ahl-e-Hadith.