L'arabe, langue intouchable ?
LE MONDE | 20.03.07 | 17h23 • Mis à jour le 20.03.07 | 17h23
l faut simplifier la langue arabe et l'adapter au monde moderne : pour l'avoir écrit en 2004 dans un livre éclairant et stimulant, qui vient d'être traduit en français, Chérif Choubachy a déclenché une tempête au Caire, puis a dû quitter son poste de vice-ministre égyptien de la culture. Langue du Coran, l'arabe passe en effet pour sacré aux yeux de beaucoup de musulmans. Toute tentative de le réformer serait sacrilège.
Dans la vie quotidienne, un Arabe utilise le dialecte local - chaque pays a le sien -, mais doit connaître la langue classique pour lire les journaux ou les livres, comprendre la plupart des émissions de radio ou de télévision, rédiger des lettres ou des textes officiels. Or, la différence entre les deux modes d'expression est considérable.
Langue magnifique, donnant lieu à des créations poétiques inégalables, l'arabe classique est très difficile à maîtriser. Même les plus grands intellectuels se surprennent à commettre des fautes. Les étudiants, eux, souffrent le martyre pour apprendre les complexités de la grammaire, qui les détourne des autres matières.
Les règles fondamentales de l'arabe n'ont pas varié depuis plus de quinze siècles, remarque Chérif Choubachy. Cet immobilisme linguistique conduit à une sclérose intellectuelle : c'est " un joug qui enchaîne le cerveau arabe et entrave nos énergies créatrices, une bride qui étrangle et réfrène nos pensées". Nous avons besoin, écrit-il, d'une langue claire et précise, non d'ornements de style et de prouesses verbales.
Certes, l'arabe a évolué, ne serait-ce que dans la presse écrite. Mais c'était des évolutions naturelles, que personne ne pouvait entraver, et non des modifications délibérées. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, une commission présidée par le grand écrivain Taha Hussein a bien proposé une réforme, mais celle-ci s'est heurtée à de vives oppositions et n'a jamais été mise en oeuvre.
Le Coran étant un livre saint, la langue dans laquelle il a été rédigé se trouve de facto sanctifiée, surtout dans le climat de religiosité actuel. Dans certains pays, on interdit aux chrétiens d'enseigner l'arabe, alors qu'ils ont joué, de tout temps, un rôle prépondérant pour sa sauvegarde et son développement.
Une langue sacrée ? Elle est née plusieurs siècles avant l'islam, souligne Chérif Choubachy. Les quatre cinquièmes des musulmans de la planète ne la parlent pas. Osera-t-on prétendre qu'ils ne sont pas de bons croyants ? Le message du Coran n'avait-il pas une visée universelle ?
En arabe classique, les phrases débutent par le verbe, ce qui entraîne des contresens. Par ailleurs, la plupart des mots sont composés uniquement de consonnes : ils seraient imprononçables et illisibles sans l'adjonction de signes de vocalisation. Selon la manière dont il est prononcé ou vocalisé, un même mot peut avoir dix significations différentes.
Chérif Choubachy ne propose nullement d'abandonner la langue classique au profit des dialectes, et encore moins d'adopter l'alphabet latin, comme le suggéraient jadis quelques provocateurs. Il estime nécessaire, en revanche, de moderniser et simplifier des structures morphologiques, grammaticales et syntaxiques : commencer les phrases par le sujet ; adopter la neutralité des chiffres ; se contenter du singulier et du pluriel, en supprimant le duel... Et, ainsi, trouver une langue de compromis, une sorte de dénominateur commun à tous les parlers et les dialectes des peuples arabes.
Il est grand temps, écrit cet intellectuel égyptien, d'entrer dans la modernité. On veut momifier la langue, et on va la tuer. L'alternative est simple : soit elle se renouvelle, soit elle meurt lentement, au profit des dialectes. Et c'en serait fini, alors, de l'unité du monde arabe.
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"Le Sabre et la Virgule" de Chérif Choubachy, L'Archipel, 190 pages, 16,95 €
Robert Solé
Article paru dans l'édition du 21.03.07
voici ce que l'arabe a fait pour le francais
L'apport de l'arabe au français
L'apport important de l'arabe au lexique français peut s'articuler en trois temps: au Moyen Âge, à la Renaissance et au XIXe siècle. Ces sources sont tirées du dictionnaire Le Petit Robert.
9.1 Le Moyen Âge
Les savants arabes ont fourni au français, directement ou par l'intermédiaire d'autres langues (notamment latin médiéval et espagnol), des termes d'origine arabo-persane, comme échec (jeu), jasmin, laque, lilas, safran ou timbale. C'est essentiellement aux XIIe et XIIIe siècles, plus rarement au XIVe siècle, que les emprunts à l'arabe pénètrent en français :
1) soit par l'intermédiaire du latin médiéval, de l'espagnol (plus rarement du catalan) ou de l'italien. C'est ainsi que le français emprunta à l'arabe des mots des sciences et des techniques, ainsi que du commerce: abricot, alambic, alchimie, algèbre, almanach, ambre, azur, chiffre, coton, douane, girafe, hasard, épinard, jupe, magasin, matelas, nénuphar, orange, satin, sirop, sucre, tare.
2) soit directement comme dans cuscute, élixir, gazelle, nadir, tasse, truchement, zénith, etc.
9.2 La Renaissance
Le domaine des sciences (mathématiques, chimie, botanique) et des techniques s'enrichit de nouveaux termes. L'arabe fournit au français, par l'intermédiaire de l'italien, des mots comme arsenal, artichaut, calibre, massepain, massicot, nacre, tarif, zéro. Le français emprunta directement à l'arabe des mots comme alcool, algorithme, alcali, amalgame, marcassite, sinus (terme de mathématiques), sofa, soude, talc, talisman, usnée.
9.3 Les XIXe et XXe siècles
Les emprunts seront étroitement liés aux circonstances historiques. Avec la campagne d'Égypte de Napoléon et les conquêtes coloniales de la France en Afrique du Nord, le français emprunta aux variétés régionales d'arabe, essentiellement à l'arabe maghrébin (algérien, marocain, tunisien), des mots qui seront véhiculés par les militaires et trouveront leur place dans l'argot ou le langage familier. Par exemple, baraka, barda, bésef, caoua, chouia, clebs, droper « courir vite », fissa, kif-kif, maboul, macache, moukère, niquer, zob. D'autres mots désignent des réalités locales comme bled, casbah, djebel, djellaba, erg, gandoura, harissa, méchoui, merguez, oued, reg, sarouel, souk, taboulé, tajine, zellige.
Enfin, les conflits nationaux et internationaux qui secouent le monde musulman à la fin du XXe siècle (guerre du Golfe, conflit israélo-palestinien, révolution islamique en Iran) favoriseront l'introduction en français (et dans d'autres langues) de mots comme ayatollah, charia, djihad ou intifada.