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Aveu d’impuissance
Comme s’il pressentait la montée des périls, António Guterres relevait dans son dernier rapport au Conseil de sécurité, en octobre 2020, que les forces du Polisario se montraient « bien moins coopératives que par le passé », refusant l’accès de leurs sites aux éléments de la Minurso, multipliant les incursions dans la zone tampon et procédant à l’installation d’unités militaires dans plusieurs localités proches du mur marocain, sous le prétexte d’y établir des centres d’isolement pour les malades du Covid-19.
Une inquiétude qui est aussi un aveu d’impuissance : démissionnaire, en mai 2019, « pour raisons de santé », le dernier en date des envoyés spéciaux du secrétaire général de l’ONU pour le Sahara, l’Allemand Horst Köhler, n’a toujours pas été remplacé faute de candidat acceptable de part et d’autre. Entre l’Algérie et le Maroc, il n’y a donc plus de médiateur.
Sur ce baril de poudre, l’annonce, le 10 décembre 2020, par Donald Trump – dont ce fut là l’une des toutes dernières initiatives en matière de politique étrangère – de la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental ressemble fort à une mèche en attente d’allumage. Quitte à balayer au passage la fiction diplomatique qui veut que l’Algérie soit, dans l’affaire saharienne, une simple « partie intéressée » et non une « partie au conflit », l’interprétation d’Alger a été immédiate : derrière cette décision américaine et la normalisation concomitante des relations entre le Maroc et Israël, c’est elle que l’on vise.
Et quand El Djeich, la très influente revue de l’ANP (Armée nationale populaire algérienne), évoque « les menaces imminentes que font peser certaines parties ennemies sur la sécurité de la région », c’est à cela qu’elle fait allusion.
Qu’ils y croient ou pas, la narration servie par les dirigeants algériens est claire : à travers le royaume chérifien, c’est « l’entité sioniste » qui désormais se profile aux frontières de la République. D’où leur double réaction. Diplomatique tout d’abord, avec l’envoi de messages en direction de Moscou, destinés à vérifier si le soutien de la Russie, traditionnel fournisseur d’armements à l’ANP, est acquis au cas où, et la multiplication de démarches auprès de la nouvelle administration américaine afin qu’elle annule le décret Trump reconnaissant la marocanité du Sahara.
Une shopping list dont la facture donne le vertige : 100 milliards de dollars pour la décennie 2010-2020
C’est en ce sens que, le 2 février, les représentants de tous les groupes parlementaires au sein de l’Assemblée nationale et du Conseil de la nation ont envoyé une lettre au président Joe Biden, lui enjoignant de revenir sur la décision de son prédécesseur. Seront-ils entendus ? Même si un tel retour en arrière est techniquement possible, il n’est guère probable, tant les deux faces du deal (le Sahara et Israël) sont liées.
Complémentaire de celle-là, l’autre réaction algérienne se veut ouvertement menaçante. Les 17 et 18 janvier, des manœuvres militaires de grande ampleur et largement médiatisées ont été organisées par l’ANP dans la région de Tindouf, à quelques dizaines de kilomètres de la frontière avec le Maroc.
Dirigé par le chef d’État-major en personne, le général Saïd Chengriha, l’exercice « Al Hazm 2021 » a été l’occasion d’une démonstration de force et d’une exhibition de matériels russes dernière génération (Sukhoi Su-30, chars T-72, hélicoptères Mi-35, missiles Iskander), fleurons d’une shopping list dont la facture donne le vertige : 100 milliards de dollars pour la décennie 2010-2020, soit plus du double des dépenses militaires marocaines au cours de la même période.
L’exercice « Al Hazm 2021 » : une démonstration de force de l’armée algérienne, dirigée par le général Saïd Chengriha (à dr.), à la mi-janvier, dans la région de Tindouf.