À Kaboul
Mohammad Hassan, yeux plissés et barbiche noire taillée en pointe, tient une épicerie à Taïmani Project, un quartier résidentiel de Kaboul, sans histoires. Les talibans lui rappellent de mauvais souvenirs: «Ils m'ont emmené et m'ont enfermé pour me torturer pendant six jours, j'en ai encore des marques dans le dos. Je ne veux pas que les Américains quittent l'Afghanistan.» Un client, arborant une longue barbe grise, lui coupe la parole: «Moi, je n'aime pas les Américains, je préfère les talibans.» Immédiatement, Mohammad le reprend: «C'est ça! Et ils te forceront à suivre la prière à coups de bâton.» Un adolescent renchérit: «Nous ne devrions pas dépendre des étrangers pour diriger notre pays. Les talibans, au moins, sont des Afghans. C'est mieux que les étrangers.»
Officiellement, le départ des troupes occidentales marque le succès de la stratégie de contre-insurrection. Après avoir déployé 30.000 hommes en renfort en Afghanistan, justement pour empêcher la montée en puissance de l'insurrection talibane, le président américain les rappelle deux ans plus tard, estimant leur mission accomplie. Mais Thomas Ruttig du Réseau afghan d'analyse (AAN), conteste cette vision. «La montée en puissance (surge) n'a pas vraiment marché. Certes, les troupes de la coalition ont éliminé de nombreux chefs de guerre. Mais l'insécurité a progressé dans des régions auparavant épargnées par les violences. À Kunduz, dans le nord du pays, on trouve même des talibans tadjiks, une ethnie qui normalement ne les soutient pas», souligne le chercheur. Dans l'Est, les groupes insurgés les plus virulents gagnent du terrain. Depuis le début du printemps, la province de Paktiya tombe progressivement sous la coupe du réseau Haqqani, un mouvement réputé proche des combattants d'al-Qaida. Dans le Sud, autre bastion de l'insurrection, la nomination récente du général Razik à la tête de la police de Kandahar devrait permettre de tenir le terrain. Mais Thomas Ruttig estime que ses liens avec des réseaux criminels pourraient être un «autre facteur d'instabilité». Enfin les insurgés ont montré qu'ils sont capables de réussir des opérations ciblées. Le général Daoud Daoud, chef de la police pour toute la région Nord, a été tué par un kamikaze déguisé en policier au début du mois.