Crise des éleveurs : la reprise en main du dossier par l'exécutif en six actes
Depuis dimanche, les éleveurs bloquaient de nombreux accès en Normandie pour alerter l'exécutif sur la crise qu'ils traversent. Retour sur trois jours de communication gouvernementale, marqués par une volte-face du ministre de l'Agriculture.
"Les éleveurs ont l'impression que leurs efforts quotidiens ne sont pas payés en retour. Cette angoisse, il faut l'entendre, nous l'entendons." Le Premier ministre, Manuel Valls, a présenté le plan d'urgence à destination des éleveurs en crise, à l'issue du Conseil des ministres, mercredi 22 juillet. Ce plan, qui compte 24 mesures et six axes, a ensuite été détaillé par le ministre de l'Agriculture, Stéphane Le Foll. En voici les grandes lignes.
Axe 1 : le redressement des prix de la filière
"J'appelle solennellement les industriels et la grande distribution à respecter les hausses de prix auxquelles ils se sont engagés. Il ne peut pas y avoir de course effrénée aux prix bas", a déclaré Manuel Valls. Une réunion doit se tenir, mercredi après-midi, à ce sujet au ministère de l'Agriculture.
Le gouvernement doit négocier avec les abatteurs, les transformateurs, les industriels laitiers et les acheteurs de la grande distribution pour qu'ils poursuivent leurs efforts.
Axe 2 : la restructuration de la dette des éleveurs en difficulté
Ce plan doit également permettre de restructurer les dettes à moyen et long terme des éleveurs en difficulté, a indiqué le ministre de l'Agriculture. Sont particulièrement concernés les jeunes éleveurs et les récents investisseurs, avec "le soutien de la médiation du crédit", écrit le gouvernement dans son plan.
La Banque publique d'investissement (BPI) pourra ainsi garantir jusqu'à 500 millions d'euros de crédit bancaire de trésorerie aux entreprises du secteur de l'élevage pour faire face à l'ensemble de leurs besoins.
Axe 3 : l'allègement et le report des charges
L'Etat va débloquer plus de 600 millions d'euros afin d'aider les éleveurs à alléger leur trésorerie. Parmi ces aides, figurent 100 millions d'annulations de charges et de cotisations : 50 millions d'euros d'exonération de taxe foncière et une prise en charge par l’Etat des charges financières des éleveurs les plus en difficulté dans le cadre du fonds d’allégement des charges (FAC), qui sera porté à 50 millions d'euros. Le FAC permet de prendre en charge les intérêts sur les échéances des prêts bancaires.
Figurent également 500 millions d'euros de reports de charges, qu'il s'agisse des cotisations personnelles et employeurs à la Sécurité sociale, des cotisations à la MSA, des remboursements des crédits de TVA, de l'impôt sur le revenu et sur les sociétés pour les éleveurs en difficulté.
Axe 4 : une aide pour la promotion à l'exportation
Stéphane Le Foll a aussi annoncé une "promotion nécessaire à l'exportation" et "des moyens de promotion de l'ordre de 10 millions d'euros" pour les filières de viande bovine, porcine, et de produits laitiers, sur le marché national comme sur ceux des pays tiers.
Le gouvernement compte aussi sur la mise en place opérationnelle de la plateforme "Viande France Export", qui regroupe les opérateurs français "pour répondre aux demandes des pays tiers importateurs".
Axe 5 : faire participer les éleveurs à la transition énergétique
Objectif : diversifier les revenus des éleveurs. Le plan prévoit des exonérations de fiscalité locale pour l’ensemble des installations de méthanisation agricole (exploitation des déchets agricoles pour produire de l'énergie).
Le gouvernement entend aussi soutenir le développement du photovoltaïque dans les élevages.
Axe 6 : améliorer la compétitivité des filières d’élevage
Cette mesure n'est pas nouvelle : les filières agricoles et agroalimentaires bénéficient déjà d'une enveloppe de 120 millions d'euros du programme des investissements d’avenir (PIA). Un appel à projet dans le secteur abattage-découpe a été lancé en février 2015, doté de 20 millions d'euros. Un premier point sur les dossiers déposés aura lieu le 31 juillet 2015, indique le document du gouvernement.
Le gouvernement souhaite aussi renforcer les relations contractuelles entre producteurs et transformateurs, après le renforcement des relations commerciales avec la grande distribution mis en place par les lois Hamon et Macron. Objectif : assurer plus de visibilité des producteurs sur leurs rémunérations et leur marge.
Enfin, l'amélioration de la compétitivité passe par une meilleure protection des élevages ovins contre le loup, en le déclassant de son statut d'espèce strictement protégée.
http://www.francetvinfo.fr/economie...ier-par-l-executif-en-cinq-actes_1009963.html
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Crise des éleveurs : l'Etat a-t-il les moyens d'intervenir ?
Le gouvernement a présenté une série de mesures pour venir en aide aux éleveurs en difficulté. Mais les marges de manœuvre de l'Etat semblent limitées. Francetv info a posé la question à Lucien Bourgeois, économiste spécialiste de l'agriculture.
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Francetv info : Le gouvernement veut pousser les différents acteurs de la filière à se mettre d’accord sur une augmentation des prix. Mais a-t-il les moyens de faire respecter l’accord trouvé le 17 juin ?
Lucien Bourgeois : Un vrai problème se pose pour les pouvoirs publics. On a retiré les moyens d'action qui permettaient à l'Etat de contrôler l'activité agricole, et notamment le niveau des prix fixés pour les produits comme la viande. Il est donc difficile de dire si le gouvernement peut vraiment agir. Ce qui est certain, c'est que ses marges de manœuvre sont faibles dans cette crise. Le gouvernement peut seulement favoriser l'entente entre les acteurs de la filière et les pousser à négocier pour trouver une fourchette de prix qui serait acceptable.
Comment peut-on expliquer l'impuissance des pouvoirs publics dans cette crise ?
L'Etat français, dans le cadre de l'Union européenne, s'est privé d'outils pour réguler l'activité agricole. Par exemple, les quotas laitiers, instaurés en 1984, ont permis de contrôler la production laitière pendant une vingtaine d'années. Dans sa vision libérale, l'Europe a décidé d'arrêter ce système. Cette libéralisation a permis d'augmenter la production de lait jusqu'à devenir excédentaire. Cela a entraîné une baisse des prix. Dans le secteur alimentaire, il suffit d'un léger surplus de production pour que les prix s'effondrent. Le phénomène a impacté la filière de la viande, car des vaches laitières ont été mises à la réforme, c'est-à-dire vendues aux abattoirs pour leur viande. Dans le même temps, les débouchés se sont réduits, notamment à cause de la baisse de la consommation de viande. Et l'embargo russe sur les produits alimentaires a également eu un effet redoutable.
Le Premier ministre a présenté une série de mesures pour apporter un soutien économique aux éleveurs en crise. L'Etat est-il condamné à verser des aides pour soutenir la filière ?
Bien sûr que non, le rôle de l'Etat est d'apporter de la sécurité aux différents acteurs de la filière. Les aides posent un problème budgétaire, c'est toujours de la dette publique. L'Etat doit plutôt renforcer les organisations interprofessionnelles et leur donner plus de liberté. Les pouvoirs publics tiennent un double discours. D'un côté, on favorise la libéralisation de l'agriculture, mais, de l'autre, on empêche les agriculteurs de s'organiser pour défendre les prix. Par exemple, en 2012, 18 structures endivières ont été sanctionnées par l'Autorité de la concurrence pour entente sur les prix.
Il faudrait que le gouvernement donne les moyens aux agriculteurs de se regrouper, et qu'ils ne soient pas condamnés. Je trouve cocasse qu'une entreprise comme Bigard ou que des groupes industriels se retrouvent dans une situation de quasi-monopole dans le secteur de la transformation et que les éleveurs ne puissent pas se regrouper pour s'accorder sur les prix et leur production annuelle. C'est une injustice profonde et une interprétation particulière du droit de la concurrence.
Mais cette concurrence est aussi encadrée au niveau européen. Le gouvernement français peut-il agir dans ce cadre ?
Le cadre européen est certes très pointilleux au sujet de la concurrence entre les acteurs économiques, mais la France l'est encore plus.
Et puis, les pouvoirs publics français peuvent influencer les politiques de l'Union européenne. Par exemple, la distribution de la Politique agricole commune (PAC) pourrait être réformée. Les aides sont actuellement versées en fonction du nombre d'hectares. Plus l'exploitation est grande, plus les aides sont importantes. Il faudrait que les aides soient repensées pour favoriser les productions biologiques ou les agriculteurs qui privilégient les circuits courts, par exemple. Ces systèmes sont dans l'air du temps.
http://www.francetvinfo.fr/economie...t-a-t-il-les-moyens-d-intervenir_1010043.html