Seule une infime minorité de savants du culte estime, depuis le milieu du XIXe siècle, que l’extension de la notion de riba aux intérêts bancaires n’est pas juste : parmi ces oulémas, citons aussi Muhammad Abdouh, Mahmoud Shaltout, Muhammad Sayyed Tantawi ou Nasr Farid Wasil (tous grands muftis d’Egypte et cheikhs d’Al-Azhar). Rejoignant ces éminents experts qui considèrent que l’assimilation de la riba à l’intérêt bancaire constitue une interprétation abusive des règles du droit musulman, des économistes apportent leur savoir dans une question sur laquelle le jurisconsulte ne peut statuer sans les expertises de spécialistes en la matière. Ainsi l’économiste Khalid Chraïbi, qui a occupé des postes importants dont celui de responsable à la Banque mondiale, écrit que l’assimilation de la riba à l’intérêt s’est faite “sur des bases juridiques discutables, dans la mesure où les opérations de banque moderne sont de nature totalement différentes de ce qui existait en Arabie, au temps de la Révélation”. Ce n’est guère le lieu de citer, ici, toutes les fatwas énoncées sur ces questions mais celle de Abd Al Moun’im Al Nimr, ancien ministre des Habous d’Égypte, est éloquente : “L’interdiction de la riba se justifie par le tort porté au débiteur. Mais, puisqu’il n’y a aucun tort porté aux personnes qui procèdent à des dépôts dans une banque, l’interdiction de la riba ne s’applique pas aux dépôts en banque”. Cet imam valide donc la différence entre usure et intérêt. Quand on définit la riba comme étant l’usure, dans une interprétation éclairée du Coran, la banque moderne devient une institution honorable, dans une logique qui met l’Islam en harmonie avec les lois scientifiques de son temps. On ne peut, d’un côté, prétendre que le Coran est fondé sur des vérités scientifiques et, de l’autre, décréter des fatwas qui attestent d’un esprit irrationnel ou de l’ignorance de ceux qui les émettent. On ne comprend donc pas pourquoi le wahhabite Al-Qaradaoui, qui a condamné la riba dans tous les pays musulmans, l’a autorisée en 2006 pour le Maroc, sous prétexte qu’il n’y existe pas de banques islamiques, en se basant sur le principe que “la nécessité abolit les interdits” (addarouratou toubihou al mahdhourat). Si la nécessité autorise l’illicite pour le Maroc pourquoi ne l’autoriserait-elle pas ailleurs ? Puis les autorités marocaines qui ont interdit l’implantation de banques islamiques durant deux décennies ont soudain changé d’avis : ce revirement n’est pas issu d’une nouvelle compréhension de l’Islam mais du fait que des opérateurs des pays du Golfe se sont engagés à investir plusieurs milliards de dollars dans l’économie marocaine, à la seule condition qu’on leur fournisse les “conduits” adéquats ! La riba est illicite mais l’opportunisme et la corruption, halal ? En Islam, certains hadiths cités par Boukhari autoriseraient l’emprunt à intérêt (îkâl ar-ribâ) en cas de nécessité absolue (dharûra) ! Ces cas de nécessité ne sont pas définis.......