Fitra
Allah, Souria, Houria wa bass
http://www.liberation.fr/societe/20...ion-est-desormais-jugee-insupportable_1152826
Encore une fois, de vrais spécialistes de la laïcité confirment ce que disent les défenseurs des droits de l'homme depuis des années ...
INTERVIEW
A la lumière de l’affaire Baby-Loup qui cristallise les oppositions depuis quatre ans, les juristes Stéphanie Hennette-Vauchez et Vincent Valentin décrivent une «nouvelle laïcité» moralisatrice et liberticide.
En 2008, une éducatrice de jeunes enfants est licenciée par la crèche Baby-Loup, une structure associative de droit privé, car elle refuse de quitter son voile islamique. En 2010, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) estime que le licenciement est discriminatoire. Mais, la même année, les prud’hommes le valident : la crèche Baby-Loup aurait une mission de service public et donc une obligation de neutralité. Commence alors «l’affaire». Quatre ans plus tard, en juin 2014, la Cour de cassation, plus haute juridiction française, tranche en validant le licenciement. On saura à la fin de ce mois si la salariée poursuit son combat devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.
Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à Paris-Ouest Nanterre, et Vincent Valentin, son homologue à l’Institut d’études politiques de Rennes, viennent de publierl’Affaire Baby-Loup ou la nouvelle laïcité.Eclairant l’affaire du point du droit, les deux juristes s’inquiètent de l’émergence d’une nouvelle vision de la laïcité, qui serait liberticide.
En moins d’un mois, une femme en burqa a dû quitter l’opéra Bastille, une étudiante en tchador a été prise à partie par un professeur dans un amphi d’Aix-en-Provence et la Fédération française de football s’oppose à ce que des joueuses voilées puissent entrer sur un terrain, contre l’avis de la Fifa… Quel lien entre ces faits divers et au regard de l’affaire Baby-Loup ?
Ils montrent que la présence de la religion est désormais jugée insupportable, indépendamment de tout trouble à l’ordre public ou atteinte à la liberté d’autrui. Pendant quatre ans, l’affaire Baby-Loup a cristallisé le débat autour du droit des personnes privées à exprimer publiquement leurs croyances religieuses. Durant tout le XXe siècle, le principe de laïcité n’avait généré d’obligations qu’à l’égard des seules institutions publiques : c’est l’Etat qui devait rester neutre pour garantir la liberté de conscience des citoyens. Mais depuis une dizaine d’années, une autre vision de la laïcité se dessine, y compris dans le champ juridique qui nous intéresse : celle-ci tend à imposer l’obligation de neutralité aux personnes privées. Ça change le sens profond de la laïcité et c’est ce qu’a révélé l’affaire de la crèche Baby-Loup.
C’est ce que vous appelez la «nouvelle laïcité». Comment la définir ?
Alors que la laïcité définie par la loi de 1905 garantit la liberté religieuse, la «nouvelle laïcité» est dans une logique de contrôle. Elle veut neutraliser tout ce qui, dans le religieux, différencie, singularise. On mobilise la laïcité pour aseptiser le religieux, perçu comme un microbe qui corrompt le vivre-ensemble. Les citoyens devraient renoncer à la part d’eux qui n’est pas commune, dès lors qu’ils entrent dans l’espace public. Cette vision large de la laïcité est portée par des personnes de droite comme de gauche. Mais ces défenseurs, qui se réclament de la loi de 1905, sont en réalité en rupture avec elle. Ils la subvertissent, l’inversent. Dans les discours politiques, dans les médias, se répand l’idée, comme une évidence, que la laïcité serait menacée. Comme si la laïcité était un état de la société, et non un devoir pour l’Etat.
Comment ce glissement s’est-il produit ?
La laïcité ne cesse d’élargir son rayon d’action. Avec la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux dans les écoles publiques, ce sont les usagers, des élèves, qui sont soumis à une obligation de neutralité. Même logique pour la charte de la laïcité dans les services publics, de 2007. Puis l’idée est venue de soumettre à l’obligation de neutralité toute personne collaborant à un service public. Certains ont tenté de définir des «participants» au service public, les accompagnateurs de sorties scolaires par exemple. D’autres ont voulu que la laïcité s’étende aux entreprises privées obtenant un marché public. Pour l’instant, ces tentatives n’ont pas abouti. En 2010, avec l’interdiction de la burqa dans l’espace public, on a défini pour la première fois la rue, en droit, comme «espace public». Enfin, le jour même où a été rendu l’arrêt Baby-Loup, une autre décision est passée inaperçue, pourtant beaucoup plus importante : selon l’arrêt CPAM (Sécurité sociale) de Seine-Saint-Denis, un salarié de droit privé peut être soumis à une obligation de neutralité religieuse, dès lors qu’il est employé par un organisme chargé d’une mission de service public. C’est une fissure incroyable dans la loi de 1905. Les éboueurs de Veolia vont-ils tous devoir être soumis au devoir de neutralité ?
Ces défenseurs de la nouvelle laïcité confondraient, selon vous, laïcité et sécularisation…
On entend souvent : «La religion doit rester une affaire purement privée.» Or, ce n’est pas du tout l’esprit de la loi de 1905. Encore une fois, ce que dit cette loi depuis un siècle, c’est que la religion ne doit pas être une affaire d’Etat. Le projet politique, républicain, de la nouvelle laïcité cherche à créer un espace commun, une société pacifiée. Mais il lui faut alors une société laïque - plus seulement un Etat laïc. Voire une société athée.
Une société peut très bien décider que le voile lui est insupportable. Mais ce qui nous semble dangereux, c’est d’utiliser et de dévoyer la laïcité dans ce combat. C’est faire fi de multiples principes de droit, mettre en danger une certaine idée de la République et des libertés individuelles. Au nom de cet objectif, qu’on peut estimer légitime, on fait dire n’importe quoi au droit.
(...)
Revenons à Baby-Loup. La décision finale de la Cour de cassation peut-elle bouleverser la laïcité à la française ?
Paradoxalement, non. Le licenciement de l’éducatrice voilée est validé, mais la décision est très circonstanciée. A l’arrivée, la Cour de cassation a refusé de fonder sa décision sur le principe de laïcité. Si Baby-Loup a pu licencier sa salariée, c’est au nom de la liberté de conscience des enfants et parce que son règlement intérieur le permettait. Avec cette décision, l’entreprise privée a gagné le droit de s’organiser pour imposer la neutralité religieuse à ses salariés, dans certaines conditions. Le texte ne méritait pas les cris de joie poussés par les partisans de la nouvelle laïcité. L’affaire Baby-Loup est intéressante car elle révèle que le prisme espace privé-espace public ne permet plus de répondre de manière satisfaisante à ces questions. Bien souvent, des choix privés de l’individu demandent, pour avoir un sens, de trouver une forme de reconnaissance dans l’espace social. Par exemple, le changement de sexe : il n’y a pas plus intime, et pourtant, ça n’a aucun sens si l’Etat n’accepte pas de modifier l’état civil de la personne. Pourquoi ne pas réfléchir de la même manière au fait religieux ? Quel est l’espace de reconnaissance social de ce choix intime ? Ce qui est sûr, c’est que le principe de laïcité n’est pas le bon moyen juridique pour répondre à ces questions.
Encore une fois, de vrais spécialistes de la laïcité confirment ce que disent les défenseurs des droits de l'homme depuis des années ...
INTERVIEW
A la lumière de l’affaire Baby-Loup qui cristallise les oppositions depuis quatre ans, les juristes Stéphanie Hennette-Vauchez et Vincent Valentin décrivent une «nouvelle laïcité» moralisatrice et liberticide.
En 2008, une éducatrice de jeunes enfants est licenciée par la crèche Baby-Loup, une structure associative de droit privé, car elle refuse de quitter son voile islamique. En 2010, la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde) estime que le licenciement est discriminatoire. Mais, la même année, les prud’hommes le valident : la crèche Baby-Loup aurait une mission de service public et donc une obligation de neutralité. Commence alors «l’affaire». Quatre ans plus tard, en juin 2014, la Cour de cassation, plus haute juridiction française, tranche en validant le licenciement. On saura à la fin de ce mois si la salariée poursuit son combat devant la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.
Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à Paris-Ouest Nanterre, et Vincent Valentin, son homologue à l’Institut d’études politiques de Rennes, viennent de publierl’Affaire Baby-Loup ou la nouvelle laïcité.Eclairant l’affaire du point du droit, les deux juristes s’inquiètent de l’émergence d’une nouvelle vision de la laïcité, qui serait liberticide.
En moins d’un mois, une femme en burqa a dû quitter l’opéra Bastille, une étudiante en tchador a été prise à partie par un professeur dans un amphi d’Aix-en-Provence et la Fédération française de football s’oppose à ce que des joueuses voilées puissent entrer sur un terrain, contre l’avis de la Fifa… Quel lien entre ces faits divers et au regard de l’affaire Baby-Loup ?
Ils montrent que la présence de la religion est désormais jugée insupportable, indépendamment de tout trouble à l’ordre public ou atteinte à la liberté d’autrui. Pendant quatre ans, l’affaire Baby-Loup a cristallisé le débat autour du droit des personnes privées à exprimer publiquement leurs croyances religieuses. Durant tout le XXe siècle, le principe de laïcité n’avait généré d’obligations qu’à l’égard des seules institutions publiques : c’est l’Etat qui devait rester neutre pour garantir la liberté de conscience des citoyens. Mais depuis une dizaine d’années, une autre vision de la laïcité se dessine, y compris dans le champ juridique qui nous intéresse : celle-ci tend à imposer l’obligation de neutralité aux personnes privées. Ça change le sens profond de la laïcité et c’est ce qu’a révélé l’affaire de la crèche Baby-Loup.
C’est ce que vous appelez la «nouvelle laïcité». Comment la définir ?
Alors que la laïcité définie par la loi de 1905 garantit la liberté religieuse, la «nouvelle laïcité» est dans une logique de contrôle. Elle veut neutraliser tout ce qui, dans le religieux, différencie, singularise. On mobilise la laïcité pour aseptiser le religieux, perçu comme un microbe qui corrompt le vivre-ensemble. Les citoyens devraient renoncer à la part d’eux qui n’est pas commune, dès lors qu’ils entrent dans l’espace public. Cette vision large de la laïcité est portée par des personnes de droite comme de gauche. Mais ces défenseurs, qui se réclament de la loi de 1905, sont en réalité en rupture avec elle. Ils la subvertissent, l’inversent. Dans les discours politiques, dans les médias, se répand l’idée, comme une évidence, que la laïcité serait menacée. Comme si la laïcité était un état de la société, et non un devoir pour l’Etat.
Comment ce glissement s’est-il produit ?
La laïcité ne cesse d’élargir son rayon d’action. Avec la loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux dans les écoles publiques, ce sont les usagers, des élèves, qui sont soumis à une obligation de neutralité. Même logique pour la charte de la laïcité dans les services publics, de 2007. Puis l’idée est venue de soumettre à l’obligation de neutralité toute personne collaborant à un service public. Certains ont tenté de définir des «participants» au service public, les accompagnateurs de sorties scolaires par exemple. D’autres ont voulu que la laïcité s’étende aux entreprises privées obtenant un marché public. Pour l’instant, ces tentatives n’ont pas abouti. En 2010, avec l’interdiction de la burqa dans l’espace public, on a défini pour la première fois la rue, en droit, comme «espace public». Enfin, le jour même où a été rendu l’arrêt Baby-Loup, une autre décision est passée inaperçue, pourtant beaucoup plus importante : selon l’arrêt CPAM (Sécurité sociale) de Seine-Saint-Denis, un salarié de droit privé peut être soumis à une obligation de neutralité religieuse, dès lors qu’il est employé par un organisme chargé d’une mission de service public. C’est une fissure incroyable dans la loi de 1905. Les éboueurs de Veolia vont-ils tous devoir être soumis au devoir de neutralité ?
Ces défenseurs de la nouvelle laïcité confondraient, selon vous, laïcité et sécularisation…
On entend souvent : «La religion doit rester une affaire purement privée.» Or, ce n’est pas du tout l’esprit de la loi de 1905. Encore une fois, ce que dit cette loi depuis un siècle, c’est que la religion ne doit pas être une affaire d’Etat. Le projet politique, républicain, de la nouvelle laïcité cherche à créer un espace commun, une société pacifiée. Mais il lui faut alors une société laïque - plus seulement un Etat laïc. Voire une société athée.
Une société peut très bien décider que le voile lui est insupportable. Mais ce qui nous semble dangereux, c’est d’utiliser et de dévoyer la laïcité dans ce combat. C’est faire fi de multiples principes de droit, mettre en danger une certaine idée de la République et des libertés individuelles. Au nom de cet objectif, qu’on peut estimer légitime, on fait dire n’importe quoi au droit.
(...)
Revenons à Baby-Loup. La décision finale de la Cour de cassation peut-elle bouleverser la laïcité à la française ?
Paradoxalement, non. Le licenciement de l’éducatrice voilée est validé, mais la décision est très circonstanciée. A l’arrivée, la Cour de cassation a refusé de fonder sa décision sur le principe de laïcité. Si Baby-Loup a pu licencier sa salariée, c’est au nom de la liberté de conscience des enfants et parce que son règlement intérieur le permettait. Avec cette décision, l’entreprise privée a gagné le droit de s’organiser pour imposer la neutralité religieuse à ses salariés, dans certaines conditions. Le texte ne méritait pas les cris de joie poussés par les partisans de la nouvelle laïcité. L’affaire Baby-Loup est intéressante car elle révèle que le prisme espace privé-espace public ne permet plus de répondre de manière satisfaisante à ces questions. Bien souvent, des choix privés de l’individu demandent, pour avoir un sens, de trouver une forme de reconnaissance dans l’espace social. Par exemple, le changement de sexe : il n’y a pas plus intime, et pourtant, ça n’a aucun sens si l’Etat n’accepte pas de modifier l’état civil de la personne. Pourquoi ne pas réfléchir de la même manière au fait religieux ? Quel est l’espace de reconnaissance social de ce choix intime ? Ce qui est sûr, c’est que le principe de laïcité n’est pas le bon moyen juridique pour répondre à ces questions.