Dernier épisode en date : la vaste promotion du livre La Meute signé Charlotte Belaïch (Libération) et Olivier Pérou (Le Monde), instantanément converti en « macro-événement » médiatique par la grâce d’une heureuse distinction parmi le millier d’essais qui paraissent chaque année [1]. L’effet de masse a amplifié la nuisance du journalisme politique : en l’absence de tout discernement, de tout sens des hiérarchies et parfois, de toute déontologie, les critiques légitimes s’enlisent sous les règlements de compte, les anecdotes insignifiantes, les « on dit », les partis pris et les calomnies. Comment prendre au sérieux des plateaux qui, dissertant joyeusement de ce livre, donnent par exemple à entendre sans la moindre contradiction que « les Insoumis sont des spécialistes de l’enfumage et du maquillage de l’antisémitisme » (Étienne Gernelle, BFM-TV, 6/05), que LFI est « une secte dont Jean-Luc Mélenchon est le gourou » (Alba Ventura, TF1, 6/05), que « même le Front national, même le Rassemblement national sont plus démocratiques que ne l’est La France insoumise »… puis que « Jean-Luc Mélenchon a contribué à dédiaboliser le Rassemblement national » (Jean-Michel Aphatie, « Quotidien », TMC, 6/05) ?
Il est également pour le moins grotesque de lire la co-autrice de La Meute, Charlotte Belaïch, déclarer dans Marianne (6/05) que « LFI est un mouvement dans lequel on parle assez peu de politique », avant de qualifier de vulgaires « répétiteurs » l’ensemble de ses militants et sympathisants – ceux-là mêmes que le journalisme dominant interdit de « stigmatiser » ou de « mépriser » lorsqu’il est question du RN. Venant en outre d’une éminente représentante du journalisme politique, maître d’œuvre en matière de dépolitisation, l’accusation ne manque décidément pas de sel. Elle fait pourtant des émules, comme à La Dépêche, où le directeur de l’information Lionel Laparade se moque de militants « dévots incapables de penser la politique par eux-mêmes, en dehors de la Bible programmatique. […] Ici, penser par soi-même, c’est déjà trahir. Insoumis dehors, soumis dedans. » (11/05)
Rien ne sera épargné. Jusqu’à cette émission de BFM-TV du 8 mai, au cours duquel le président d’honneur de la Licra [2] Alain Jakubowicz qualifie LFI de « mouvement fasciste », avant de déclarer : « Toutes proportions gardées, je vois un parallèle – je sais que je vais me faire rentrer dedans, mais ce n’est pas grave – entre Mélenchon et Goebbels. » Une relativisation du nazisme doublée d’une injure infâmante qui, de fait, ne lui valut aucune remontrance en direct [3]. Et pour cause : loin de constituer un « dérapage », ces propos s’inscrivent pleinement dans le processus de banalisation/diabolisation précédemment décrit. Comment condamner ce qu’on a eu de cesse d’alimenter ? Comment les principaux acteurs de la sphère politico-médiatique peuvent-ils s’affranchir du logiciel orwellien qu’ils auront eux-mêmes inlassablement contribué à construire, dans lequel l’équation « LFI » = « antisémitisme » est devenue une « évidence » et l’extrême droite, lavée de tout soupçon ? Comment prétendre dénoncer des outrances quand ces dernières sont tolérées ad nauseam, depuis l’évocation des « nazis de gauche » (Thierry Keller, « C ce soir », 17/06/2024) et sa variante – « le nazisme est-il passé à l’extrême gauche ? » (CNews, 12/10/2023) –, jusqu’aux refrains incessants sur la « jean-marie-lepénisation » de Jean-Luc Mélenchon, repris en chœur par des éditorialistes politiques de Libération comme Jonathan Bouchet-Petersen, en décembre 2023, et son confrère Thomas Legrand : « Comment Jean-Luc Mélenchon s’est Jeanmarielepenisé ? » (Libération, 26/03) ?
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