C'est une mutation en douceur. Peu à peu, les plages adoptent les normes islamistes qui gagnent la société. Mais quelques rares régions résistent.
Habillée d’un voile gris et ample qui ne laisse voir que ses mains et son visage, la femme est sagement assise sur une petite chaise pliante au bord de l’eau. Son téléphone portable à bout de bras, elle se contente de filmer son mari et ses enfants, en plein concours de plongeons acrobatiques. La scène se passe à Oued Dar el-Oued, l’un des plus beaux sites de la splendide corniche kabyle, qui étire ses petites criques rocheuses, ses plages de sable doré et ses îlots verdoyants sur une quarantaine de kilomètres entre Béjaïa et Jijel.
Oued Dar el-Oued est une rivière de montagne qui serpente au cœur de gorges profondes et luxuriantes avant de se jeter dans la mer sous une magnifique arche en pierres taillées. C’est dans ce décor de film d’aventures que communistes et islamistes organisaient côte à côte leurs camps d’été dans les années 1980. Aujourd’hui, on ne trouve plus trace des premiers alors que les seconds ont presque imposé leur modèle de société à tout le pays.
Les femmes osent à peine se tremper les pieds. Seules les téméraires se lancent, habillées
Les sorties familiales à la mer se généralisent
Ces scènes de femmes voilées cantonnées sur la plage résument bien les nouvelles habitudes. Le boom de l’automobile et la relative accalmie sécuritaire poussent des milliers d’Algériens vers la mer à la belle saison. Si les sorties sont familiales, ce sont surtout les hommes et les enfants qui profitent des joies de la baignade. Les femmes, elles, restent au bord et bénéficient de la fraîcheur des rivages seulement en trempant leurs pieds dans l’eau. Seules quelques téméraires s’y aventurent tout habillées.
Un peu plus loin, le village des Aftis (« les plages », en berbère) accueille les vagues d’estivants qui déferlent depuis les premières heures de la matinée. La commune d’El-Aouana (ex-Cavallo) est située à une vingtaine de kilomètres de Jijel, le chef-lieu de la wilaya. Sous un ciel d’un bleu insolent, une mer d’huile fait face à une forêt de parasols et de tentes qui épousent l’arc parfait que forme la côte à cet endroit.
« Vous pouvez installer votre famille en toute quiétude ici. Il n’y a pas de nudité chez nous », affirme avec fierté Salah, à qui nous demandions si des femmes à moitié nues ne risquaient pas de choquer nos yeux pudiques. Salah tient une boutique de maillots de bain sur la route. Il vend essentiellement des bermudas et des « burkinis ».
Hidjab et burkini
Tenue de plage censée préserver la fameuse horma, ou « vertu », le burkini se compose d’un long fuseau, d’une liquette à manches longues et d’un foulard pour cacher les cheveux. Les tenues floquées aux noms de griffes célèbres sont fabriquées en Turquie et coûtent 2 800 dinars (environ 24 euros). Les produits bas de gamme, une poignée de dinars moins cher, proviennent, eux, de Tunisie et de Chine.
La région de Jijel, autrefois l’un des fiefs de l’Armée islamique du salut (AIS), a retrouvé une animation fiévreuse sur ses quelque 120 km de littoral longtemps déserté. Les femmes portent presque exclusivement le hidjab, le voile islamique.
Les plages, bondées, sont fréquentées majoritairement par les hommes venus de l’intérieur du pays. Il y a trois choses qu’il est inutile de chercher ici : un bar-restaurant servant de l’alcool, un touriste étranger et une femme légèrement vêtue. Les bords de mer sont à l’image d’une société de plus en plus gagnée par un islamisme plus social que militant.
À Béjaïa, l’alcool coule à flots et les plages sont encore fréquentées par des femmes en bikini
À Béjaïa, tolérance et ouverture
Si Jijel passe pour une ville prude et conservatrice, Béjaïa, sa voisine, cultive volontiers une réputation – non usurpée – de tolérance et d’ouverture. L’alcool y coule à flots, les cabarets sont ouverts jusqu’au petit matin et les plages sont encore fréquentées par des femmes en bikini. Dans les rues de cette ville cosmopolite, une fille en minijupe ne déclenche pas d’émeutes comme ce serait le cas dans certaines régions de l’intérieur.
Coincée entre mer et montagnes, Béjaïa aligne près de 100 km de côtes. À l’est, dans les stations balnéaires aux plages de sable fin, il est difficile de trouver un mètre carré pour planter son parasol dès les premières heures de la matinée. Moins accessible et plus sauvage, la côte ouest est essentiellement fréquentée par la classe aisée, les cadres moyens, les nouveaux riches et les émigrés. C’est la destination privilégiée de la jet-set.
Première halte : le village touristique de Boulimat, qui aligne ses belles villas et ses bars-restaurants les pieds dans l’eau. Un peu plus au large, l’île des Pisans attire de nombreux visiteurs et amateurs de plongée. Boulimat, Tala Ilef (« la source au sanglier »), Saket, Aach el-Vaz (« le nid d’aigle »), Tighremt, Oued Das, Ath Mendil, plages et stations balnéaires se succèdent avec, à chaque virage, un paysage à couper le souffle. http://www.jeuneafrique.com/mag/258705/societe/algerie-fini-le-bikini-place-au-burkini/
Habillée d’un voile gris et ample qui ne laisse voir que ses mains et son visage, la femme est sagement assise sur une petite chaise pliante au bord de l’eau. Son téléphone portable à bout de bras, elle se contente de filmer son mari et ses enfants, en plein concours de plongeons acrobatiques. La scène se passe à Oued Dar el-Oued, l’un des plus beaux sites de la splendide corniche kabyle, qui étire ses petites criques rocheuses, ses plages de sable doré et ses îlots verdoyants sur une quarantaine de kilomètres entre Béjaïa et Jijel.
Oued Dar el-Oued est une rivière de montagne qui serpente au cœur de gorges profondes et luxuriantes avant de se jeter dans la mer sous une magnifique arche en pierres taillées. C’est dans ce décor de film d’aventures que communistes et islamistes organisaient côte à côte leurs camps d’été dans les années 1980. Aujourd’hui, on ne trouve plus trace des premiers alors que les seconds ont presque imposé leur modèle de société à tout le pays.
Les femmes osent à peine se tremper les pieds. Seules les téméraires se lancent, habillées
Les sorties familiales à la mer se généralisent
Ces scènes de femmes voilées cantonnées sur la plage résument bien les nouvelles habitudes. Le boom de l’automobile et la relative accalmie sécuritaire poussent des milliers d’Algériens vers la mer à la belle saison. Si les sorties sont familiales, ce sont surtout les hommes et les enfants qui profitent des joies de la baignade. Les femmes, elles, restent au bord et bénéficient de la fraîcheur des rivages seulement en trempant leurs pieds dans l’eau. Seules quelques téméraires s’y aventurent tout habillées.
Un peu plus loin, le village des Aftis (« les plages », en berbère) accueille les vagues d’estivants qui déferlent depuis les premières heures de la matinée. La commune d’El-Aouana (ex-Cavallo) est située à une vingtaine de kilomètres de Jijel, le chef-lieu de la wilaya. Sous un ciel d’un bleu insolent, une mer d’huile fait face à une forêt de parasols et de tentes qui épousent l’arc parfait que forme la côte à cet endroit.
« Vous pouvez installer votre famille en toute quiétude ici. Il n’y a pas de nudité chez nous », affirme avec fierté Salah, à qui nous demandions si des femmes à moitié nues ne risquaient pas de choquer nos yeux pudiques. Salah tient une boutique de maillots de bain sur la route. Il vend essentiellement des bermudas et des « burkinis ».
Hidjab et burkini
Tenue de plage censée préserver la fameuse horma, ou « vertu », le burkini se compose d’un long fuseau, d’une liquette à manches longues et d’un foulard pour cacher les cheveux. Les tenues floquées aux noms de griffes célèbres sont fabriquées en Turquie et coûtent 2 800 dinars (environ 24 euros). Les produits bas de gamme, une poignée de dinars moins cher, proviennent, eux, de Tunisie et de Chine.
La région de Jijel, autrefois l’un des fiefs de l’Armée islamique du salut (AIS), a retrouvé une animation fiévreuse sur ses quelque 120 km de littoral longtemps déserté. Les femmes portent presque exclusivement le hidjab, le voile islamique.
Les plages, bondées, sont fréquentées majoritairement par les hommes venus de l’intérieur du pays. Il y a trois choses qu’il est inutile de chercher ici : un bar-restaurant servant de l’alcool, un touriste étranger et une femme légèrement vêtue. Les bords de mer sont à l’image d’une société de plus en plus gagnée par un islamisme plus social que militant.
À Béjaïa, l’alcool coule à flots et les plages sont encore fréquentées par des femmes en bikini
À Béjaïa, tolérance et ouverture
Si Jijel passe pour une ville prude et conservatrice, Béjaïa, sa voisine, cultive volontiers une réputation – non usurpée – de tolérance et d’ouverture. L’alcool y coule à flots, les cabarets sont ouverts jusqu’au petit matin et les plages sont encore fréquentées par des femmes en bikini. Dans les rues de cette ville cosmopolite, une fille en minijupe ne déclenche pas d’émeutes comme ce serait le cas dans certaines régions de l’intérieur.
Coincée entre mer et montagnes, Béjaïa aligne près de 100 km de côtes. À l’est, dans les stations balnéaires aux plages de sable fin, il est difficile de trouver un mètre carré pour planter son parasol dès les premières heures de la matinée. Moins accessible et plus sauvage, la côte ouest est essentiellement fréquentée par la classe aisée, les cadres moyens, les nouveaux riches et les émigrés. C’est la destination privilégiée de la jet-set.
Première halte : le village touristique de Boulimat, qui aligne ses belles villas et ses bars-restaurants les pieds dans l’eau. Un peu plus au large, l’île des Pisans attire de nombreux visiteurs et amateurs de plongée. Boulimat, Tala Ilef (« la source au sanglier »), Saket, Aach el-Vaz (« le nid d’aigle »), Tighremt, Oued Das, Ath Mendil, plages et stations balnéaires se succèdent avec, à chaque virage, un paysage à couper le souffle. http://www.jeuneafrique.com/mag/258705/societe/algerie-fini-le-bikini-place-au-burkini/