Enfants placés: la création d’un «internat de confinement» fait polémique dans le 93
En Seine-Saint-Denis, où la protection de l’enfance est sinistrée, un centre est créé pour regrouper des enfants placés atteints du Covid-19. Des éducateurs craignent une « stigmatisation ». Et s’inquiètent, par ailleurs, des effets du confinement pour les jeunes : maltraitance, fragilisation des familles d’accueil, etc.
Agathe*, une professionnelle de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de Seine-Saint-Denis, a été soufflée en découvrant un mail du département, le 25 mars dernier, cherchant des volontaires pour travailler dans un « internat de confinement pour des enfants symptomatiques ou malades » du Covid-19, parmi les 8 673 mineurs protégés dont il a la charge. Elle n’y a pas répondu favorablement. « Un enfant souffrant a envie d’être chez soi, dans sa famille d’accueil ou son foyer, explique-t-elle. Cette structure me paraît hyperanxiogène. Toute la protection que devrait fournir l’ASE n’y est pas. Malheureusement, c’est le quotidien que des gamins soient jetés de foyers, de chez leur assistant familial, mais là, c’est comme si le département institutionnalisait le fait que les enfants soient déplacés. Le problème, c’est pas le Covid à l’ASE, c’est l’ASE. »
Depuis, le département a fait savoir que le centre, créé dans un collège de Noisy-le-Grand, avait ouvert ses portes début avril, afin de « prendre en charge dans un premier temps jusqu’à 10 enfants […] ne nécessitant pas une hospitalisation », avec un accompagnement éducatif, médical et psychologique. Un enfant a déjà été accueilli, parce que son assistante familiale était hospitalisée. Sur le terrain, le projet suscite nombre de craintes.
Éducatrice dans un foyer du centre départemental enfants et familles (Cdef), qui prend en charge 400 mineurs, Léa* s’inquiète aussi : « Je ne suis pas sûre qu’un enfant comprenne qu’on le mette dans un lieu qu’il ne connaît pas sans aucun de ses référents autour de lui. C’est stigmatisant. Comment savoir s’il n’y aura pas de séquelles après ? »
Travailleur social et membre du Conseil national de la protection de l’enfance, Lyes Louffok se montre tout aussi soucieux. « Dans cette période d’angoisse, les enfants peuvent se sentir coupables, penser qu’ils sont dangereux pour les autres, déclare cet ancien enfant placé, auteur du livre Dans l’enfer des foyers. Pour les enfants déjà insérés dans une structure, ça va créer de la rupture. J’aurais plutôt privilégié des lieux de désengorgement. » Ce qui aurait sûrement nécessité d’autres moyens.
Fabienne Quiriau, directrice générale de la Cnape, fédération nationale d’associations de protection de l’enfant, abonde : « Je sais que des fois, il faut faire avec les moyens du bord, mais qu’on isole les enfants malades de l’ASE dans un même lieu me heurte. Personne n’aurait cette idée avec ses enfants. »
Du côté de certains syndicats, l’accueil de cet internat, vu comme une solution de secours, n’est toutefois pas défavorable. Jérôme Prigent, élu CGT, éducateur au Cdef, à Villemomble, explique : « Il faut être vigilant, mais il me semble que c’est quand même une bonne idée. On voyait bien qu’il n’y aurait pas assez de matériels pour protéger tout le monde en cas de grand nombre d’enfants touchés par le Covid. »
De même, Julien Fonte, secrétaire national FSU Territoriale, détaille : « Une des difficultés, c’est qu’on ne peut pas fournir tout le monde en masques, gel, gants. La question, c’est : comment on répond à ces enjeux de sécurité sanitaire, de pénurie ? Un centre peut être stigmatisant, mais c’est de toute façon une structure d’accueil temporaire où au moins tous seront protégés. »
Bien sûr, le département défend sa structure auprès de Mediapart : « Cette solution inédite en France poursuit le but d’assurer une prise en charge qui soit la meilleure possible pour des enfants qui ne pourraient pas être confinés de manière optimale dans leur structure d’origine ou au sein d’une famille d’accueil dont l’un des membres serait malade. Il en va d’abord de leur protection, et de celles des autres. Nous nous assurons que cette prise en charge garantisse une continuité entre les professionnels de l’internat et ceux du lieu d’accueil d’origine. L’internat dispose par ailleurs d’une psychologue, à même d’apporter en permanence une écoute aux enfants accueillis (voir l’intégralité des réponses sous l’onglet Prolonger). »