« Du côté indien, on n’attend plus grand chose de bon de la Chine »
ISABELLE SAINT-MÉZARD — Au sein des BRICS, la position de l’Inde n’a pas toujours été aisée, écho d’une diplomatie plurilatérale qui la pousse à être proche de pays aux intérêts divergents, voire opposés. À cela s’ajoute ses relations très dégradées avec la Chine, dont les Sommets des BRICS se font souvent l’écho. Mais dans un monde marqué par la diversification des puissances, le multilatéralisme indien pourrait être un avantage. Isabelle Saint-Mézard, maîtresse de conférence en géopolitique de l'Asie à l'Institut Français de Géopolitique, répond à nos question.
La résurgence récente du groupe des BRICS sur la scène multilatérale mondiale est souvent attribuée au couple sino-russe : quel rôle l’Inde a-t-elle joué dans cette émergence ?
Si la Russie et la Chine ont investi dans la résurgence récente du groupe des BRICS, c’est parce qu’elles y ont vu un moyen supplémentaire de contester l’ordre international, de concurrencer le G7, voire de mobiliser divers États dans le monde qui se sentent laissés pour compte ou victimes des «
Occidentaux ».
L’Inde n’est pas mue par la même ambition « révisionniste » de l’ordre international ; concernant le G7 par exemple, elle se félicite plutôt d’être quasi-systématiquement invitée aux Sommets du groupe et d’y faire entendre sa voix et, avec elle, celles des Émergents. En revanche, elle ne veut pas laisser le champ libre à la Chine pour reconfigurer les BRICS à sa guise et, via ce groupe, s’imposer en chef de file du « Sud Global ». En ce sens, le groupe des BRICS est une chambre d’écho des luttes d’influence qui se jouent entre Indiens et Chinois pour
définir et diriger le Sud Global, un concept assez vague, mais au fort potentiel mobilisateur.
De manière générale, comment qualifier la position indienne à l’intérieur des BRICS ?
La position de l’
Inde à l’intérieur des BRICS a varié au fil du temps et a paru, selon les circonstances, opportuniste, engagée ou, à l’inverse, malaisée.
L’Inde ne veut pas laisser le champ libre à la Chine pour reconfigurer les BRICS à sa guise et, via ce groupe, s’imposer en chef de file du « Sud Global ».
Il faut d’abord revenir sur l’intérêt que le concept même de BRIC a eu pour l’Inde dans les années 2000, quand il a été popularisé par Goldman Sachs. New Delhi y a d’abord vu une reconnaissance internationale de son poids croissant. Pour un pays qui a longtemps souffert de ne pas être reconnu à ce qu’il estimait être sa juste valeur, la popularisation du concept dans le monde était une aubaine en termes de statut, de visibilité et d’attractivité.
Outre ces enjeux de statut, l’Inde a ensuite participé à la mise sur pied du groupe, en y voyant bien les intérêts diplomatiques qu’elle pourrait en tirer, à savoir : cultiver l’amitié de la Russie, qui tenait beaucoup au projet, explorer les possibilités de coordination avec la Chine sur des dossiers de gouvernance mondiale – un champ où les deux États parvenaient à coopérer dans la décennie 2000 et la première moitié des années 2010 — et plus généralement, mobiliser des alliés de poids en vue de négocier une meilleure représentation au sein des institutions monétaires internationales.
L’Inde a aussi bien vu l’intérêt qu’il y avait à mobiliser le potentiel financier des États-membres et a proposé, en 2012, la création d’une banque des BRICS, laquelle a été effectivement établie en 2015. Cela étant, la mise en place de la banque a fait l’objet de difficiles tractations entre Indiens et Chinois, les premiers s’irritant de voir les seconds s’approprier leur proposition. Cet exemple en dit long sur la réalité des rapports de force au sein du groupe et donne une idée de la position parfois malaisée de l’Inde au sein du groupe. D’ailleurs, en parallèle des BRICS, elle a continué de promouvoir le groupe « IBAS », avec le Brésil et l’Afrique du Sud. Débarrassée des « encombrants » partenaires chinois et russes, l’Inde a pu paraître plus à l’aise dans ce mécanisme qui cultive une certaine tradition de coopération Sud-Sud et milite pour la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies.
Au sein des BRICS, la position de l’Inde n’a pas toujours été aisée, écho d’une diplomatie plurilatérale qui la pousse à être proche de pays aux intérêts divergents, voire opposés. À cela s’ajoute ses relations très dégradées avec la Chine, dont les Sommets des BRICS se font souvent l’écho. Mais...
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