Le rituel du repas
15/01/2014
Amadou Hampâté Bâ dans Amkoullel l'enfant peul.
Extrait :
"Durant les repas, les enfants étaient soumis à une discipline rigoureuse. Ceux qui y manquaient étaient punis, selon la gravité de leur faute, d'un regard sévère, d'un coup d'éventail sur la tête ou d'une gifle, ou même d'un renvoi pur et simple avec privation de nourriture jusqu'au repas suivant. Nous devions observer sept règles impératives :
- Ne pas parler
- Tenir les yeux baissés durant le repas
- Manger devant soi (ne pas grappiller à droite et à gauche dans le grand plat commun)
- Ne pas prendre une nouvelle poignée de nourriture avant d'avoir terminé la précédente
- Tenir le rebord du plat de la main
- Eviter toute précipitation, en puisant la nourriture avec sa main droite
- Ne pas se servir soi-même parmi les morceaux de viande déposés au centre du grand plat. Les enfants devaient se contenter de prendre des poignées de céréales (mil, riz ou autre) bien arrosées de sauce; ce n'est qu'à la fin du repas qu'ils recevaient une pleine main de morceaux de viande considérée comme un cadeau, ou une récompense.
Toute cette discipline ne visait nullement à torturer inutilement l'enfant, mais lui enseignait un art de vivre. Tenir les yeux baissés en présence des adultes, surtout des pères — c'est-à-dire les oncles et les amis du père —, c'était apprendre à se dominer et à résister à la curiosité.
Manger devant soi, c'était se contenter de ce que l'on a.
Ne pas parler, c'était maîtriser sa langue et s'exercer au silence : il faut savoir où et quand parler.
Ne pas prendre une nouvelle poignée de nourriture avant d'avoir terminé la précédente, c'était faire preuve de modération.
Tenir le rebord du plat de la main gauche était un geste de politesse, il enseignait l'humilité.
Eviter de se précipiter sur la nourriture, c'était apprendre la patience. Enfin, attendre de recevoir la viande à la fin du repas et ne pas se servir soi-même conduisaient à maîtriser son appétit et sa gourmandise.
En fait, même pour les adultes, le repas correspondait jadis — et encore aujourd'hui dans certaines familles traditionnelles — à tout un rituel.
En Islam comme en tradition africaine, la nourriture était sacrée et le grand plat commun, symbole de communion, était censé receler en son centre un foyer de bénédiction divine "