Ce qui est tordu, c'est la modification de "mort" dans le "droit français"
<Pour prévenir les inhumations prématurées, on ne peut enterrer le cadavre avant que ne soient écoulées 24 heures après la mort ainsi constatée9.
Le statut juridique des sujets pendant cette période légale n’est pas précisément établi.
Selon Demay de Goustine, les personnes déclarées décédées ne sont considérées comme telles que sous condition de ne pas manifester pendant cette période des signes de vie10. On imagine volontiers, dans ces conditions, que l’expiration du délai légal confirme cette présomption simple, d’un état de mort.(...)
cet ensemble de règles est mis en question au sortir de l’immédiat après-guerre, quand le cadavre commence à être destiné à de nouveaux usages sociaux.
L’autopsie clinique présente d’autant plus d’intérêt qu’elle est pratiquée sur des tissus non dégradés par la nécrose. Le prélèvement doit surtout être réalisé sur le cadavre le plus tôt possible afin d’augmenter les chances de succès de la greffe.(...)
À partir de 1947 se produit une transformation de l’inscription de la mort dans le droit.
Une nouvelle réglementation cherche, dans un premier temps, à garantir la réalité de la mort malgré la précocité du constat, afin de justifier l’immédiateté des prélèvements. Même si la définition de la mort ne change pas, les critères et les méthodes d’exploration de celle-ci se trouvent pour la première fois précisés.
L’arrêt cardio-circulatoire, cause immédiate de la cessation totale de la vie de l’organisme, laquelle mène fatalement au décès, est posé comme critère de la mort.
Dans un deuxième temps, lorsque la mort sera définie comme mort cérébrale, le droit cherchera non pas à la constater mais à la créer et à la donner afin de justifier et de faciliter les prélèvements d’organes
Le critère cardiaque – La première disposition visant à modifier les règles du Code civil date de 1941.
Il restait interdit de procéder à l’autopsie d’un cadavre avant que ne se soit écoulé un délai de 24 heures depuis la déclaration du décès et qu’ait été préalablement obtenue l’autorisation du maire de la commune, ou encore du Préfet de police. Toutefois, si l’autopsie était nécessaire avant l’expiration du délai de 24 heures, la demande d’autorisation devait être accompagnée d’un certificat médical, légalisé, constatant que des signes de décomposition rendaient l’opération nécessaire avant les délais prescrits.
Selon certains auteurs, la possibilité de greffer des cœurs est ce qui aurait rendu ce critère de mort paradoxal et inadéquat.
Cela revenait à considérer – pensent-ils – que lors d’une greffe de cœur, l’on tuait le donneur, dont les fonctions cardiaques étaient maintenues artificiellement en vie au moment de l’explanter, tout en ressuscitant le receveur, lequel était mort au moment où son vieux cœur avait été prélevé pour être substitué par celui du donneur.
Ce type de raisonnement explique pourquoi, dans des pays comme le Japon où cette définition est toujours en vigueur, la greffe de cœur est interdite
Toutefois, cet argument ne pèse guère si l’on tient compte du fait que le critère cardiaque s’appuie, non sur l’existence de l’organe, mais sur la fonction qu’il accomplit dans l’organisme. Dans la mesure où cette fonction peut être remplacée par des dispositifs artificiels, on ne saurait parler d’« arrêt cardiaque » (a fortiori en l’absence de cœur).
Le critère cérébral – En 1959, le Professeur Mollaret et son équipe constatent et décrivent un nouveau stade du coma : le coma dépassé, « dans lequel se surajoute à l’abolition totale des fonctions de la vie de relation, non des perturbations, mais une abolition également totale des fonctions de la vie végétative ».
Report of the Ad Hoc Commitee of the Harvard Medical School to Examine the Definition on Brain Deat (...)
En 1968, le Ad hoc Commitee of the Harvard Medical School, reprend cette notion de coma dépassé et fixe un nouveau critère de la mort, lequel peu à peu s’est imposé dans la communauté scientifique internationale et dans la législation des États. Une fois que les examens pouvaient attester la mort, non seulement du néocortex mais aussi du tronc cérébral, la personne pouvait être jugée morte16.
Ibid.
S. Gromb, « Aperçu de droit comparé en matière de prélèvements d’organes sur les cadavres », Journa (...)
Ce nouveau critère de mort n’est pas de même nature que l’arrêt cardiaque.
La question que se posait alors le comité américain était celle de savoir non pas tant quelle était la passerelle séparant la vie de la mort, mais plutôt quand il devenait légitime – tant du point de vue du patient que de la société – de mettre fin à la réanimation.
La mort cérébrale est le résultat de ces compromis entre le respect de la vie et celui d’une certaine qualité de celle-ci, entre la protection du patient et celle de la société intéressée, tant à récupérer des lits occupés par ces comateux, que d’obtenir des organes pour les transplanter
. De ce fait, le nouveau critère de mort ne se limite pas à qualifier un organisme par ses attributs intrinsèques. Il tente de poser une frontière éthique et politique au-delà de laquelle une vie devient indigne d’être vécue ce qui justifie, désormais, l’arrêt des efforts de réanimation et le prélèvement d’organes sur ces individus préalablement déclarés morts. Bien que la notion de mort cérébrale fût conçue pour s’appliquer en principe à toute situation de réanimation, elle n’aura été inscrite dans la législation des États que pour obtenir, par ce biais, des organes vitaux18.
Décret n° 78-501 du 31 mars 1978 pris pour l’application de la loi du 22 décembre 1976 relative aux (...)
II confie le constat à un collège de deux médecins et n’autorise l’utilisation du corps que dans le (...)
La mort cérébrale est introduite en droit français par la circulaire Jeanneney du 24 avril 1968, laquelle évoque « l’irréversibilité de lésions incompatibles avec la vie », elles-mêmes manifestées par des « altérations du système nerveux central dans son ensemble » lorsqu’elles sont « à caractère destructeur et irrémédiable ».
Certaines méthodes exploratoires sont imposées pour fonder un tel jugement. Il est précisé, en outre, que l’irréversibilité des fonctions ne peut être établie que sur la concordance de signes cliniques et paracliniques mentionnés par la dite circulaire. L’absence d’un seul de ces signes suffit pour interdire de déclarer le sujet mort.
Un décret de 1978 précise les conditions dans lesquelles les médecins doivent constater les comas dépassés en vue de l’utilisation du corps humain2
Ce décret impose également une obligation de séparation fonctionnelle entre les médecins chargés du constat de la mort et ceux chargés du prélèvement.
Circulaire DGS/185/AS 1-4 du 20 mars 1980 relative aux prélèvements d’organes et circulaire du 21 j (...)
Cette réglementation n’a pas suffi à susciter la confiance du public. On a considéré que cette méfiance devait être combattue par la mise au point de méthodes exploratoires de plus en plus efficaces.
D’autres textes, en 1980 et en 199121, actualisent la circulaire de 1968, et établissent de nouvelles méthodes exploratoires pour le constat de la mort cérébrale.
(...)
Le droit et le fait
Mais la procédure choisie est celle du travestissement des faits. Ce montage juridique cherche ainsi à préserver, tout en les transgressant, certaines règles traditionnelles relatives à la protection de la vie humaine. On pourrait énoncer la première de ces règles de la manière suivante : toute vie humaine doit être protégée juridiquement ; et la seconde : aucune vie humaine ne doit être sacrifiée au profit d’une autre.
Le constat de mort cérébrale permet d’affirmer que l’on ne tue pas un être humain mais que l’on déclare morte une personne physique. Une mort est constatée, mort censée être survenue avant le jugement de mort. Et comme l’être humain n’est tué dans les faits qu’une fois que la personne a été déclarée morte, on ne tue personne.
Néomort est une expression créée par W. Gaylin pour différencier les êtres humains déclarés morts s (...)
G. Agamben, Homo Sacer. Il potere sovrano e la nuda vita, Turin, Einaudi, 1995.
Il en va de même avec les atteintes à l’intégrité physique de la personne, par le prélèvement de ses organes après le constat de la mort cérébrale. Puisque le corps de ce « néomort » n’est plus le corps d’une personne, il devient, pour employer la belle formule de G. Agamben, vie humaine « nue », sans les dispositifs de protection qui entourent les vivants qualifiés de sujets de droit. Désormais la question du sacrifice ne se pose plus, parce que le faux-vivant est juridiquement mort.
le texte intégral
La construction de la mort en droit français
mam