Du côté de la sphère politique, les lignes bougent aussi. Début septembre, le gouvernement espagnol lui-même a parlé de génocide, et annoncé prendre des mesures de sanction contre Isra ël pour y mettre fin. En France aussi,
certains membres de la classe politique française ont évolué sur leur position.
Au sein même de la société israélienne, l’accusation de génocide à Gaza gagne du terrain. Certains historiens israéliens, notamment Omer Bartov et Amas Goldberg, plaident depuis plusieurs mois pour qualifier la situation à Gaza de génocide. Fin juillet 2025, les ONG israéliennes Physicians for Human Rights et B’Tselem ont elles aussi accusé l’État hébreu de commettre un génocide à Gaza. Dans les manifestations contre le gouvernement Netanyahou, des pancartes
« arrêtez le génocide » ou
« refusez de bombarder » ont également commencé à émerger.
Le fruit d’une politique jusqu’au-boutiste
D’après les observateurs, cette accélération de l’accusation de génocide est en partie le résultat de la politique jusqu’au-boutiste menée par l’exécutif israélien.
« Les informations alarmantes sur le bilan humain d’une offensive militaire, dont les observateurs les plus modérés peinent à percevoir le sens, apportent des arguments en faveur de l’emploi du terme », explique Alban Perrin. De la même manière, la rupture du cessez-le-feu par Israël en février dernier, l’état de famine déclaré par l’ONU ou encore le lancement du plan de conquête de la ville de Gaza ont nourri les inquiétudes.
Mais alors qu’Israël ignore les mises en garde de la communauté internationales, quels effets peuvent ces accusations répétées de génocide ? Pour le spécialiste du droit international Pascal Turlan, il est
« fondamental de soulever la question du génocide afin d’établir les faits pour le futur, et faire en sorte que la situation cesse ». Selon lui, cela répond notamment aux exigences de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Par ailleurs, les rapports tels que celui produit par la commission d’enquête mandatée par l’ONU peuvent présenter un intérêt pour les juridictions internationales.
« Ce ne sont pas des éléments de preuve en tant que tels, mais des éléments de contexte et d’informations qui peuvent amener à d’autres preuves », fait savoir Pascal Turlan. Cela pourra notamment être le cas dans le cadre du recours déposé en décembre 2023 par l’Afrique du Sud devant la Cour de Justice Internationale (CIJ), et dont les conclusions ne seront rendues que dans plusieurs années.
Cependant
, « l’utilisation tous azimuts » du terme de génocide peut, selon le juriste,
« créer de la confusion » et présenter le risque de
« cacher la réalité de la situation à Gaza », en occultant le détail des différents crimes de guerre.
Pascal Turlan rappelle d’ailleurs que la qualification continue de faire
« débat » chez les historiens et les juristes. Et pour cause,
« la définition du génocide est très pointue et difficile à remplir », dit-il. Pour parler de génocide il faut non seulement que les crimes cités dans la Convention de 1948 soient commis, mais aussi être en mesure de prouver l’intention de l’auteur à
« détruire tout ou en partie un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme tel ». Un temps de la recherche et du droit en complet décalage avec l’urgence de la situation humanitaire à Gaza
À tel point que le terme de génocide occupe aujourd’hui une place inédite dans le débat public. Le mot
« ressurgit régulièrement dans l’actualité à l’occasion de procès ou de crises majeures comme en Syrie avec la population Yézidis, ou pour les Rohingya, mais jamais avec la même ampleur » que pour la situation actuelle à Gaza, affirme l’historien.